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Nouvelles approches en iconographie étrusque

Autour d'ICAR

Actes de la journée d'études organisée le 7 juin 2002 à la Maison René-Ginouvès - Nanterre
publiés par Natacha Lubtchansky

L'ACI jeunes chercheurs Image et Religion - ICAR et l'équipe ESPRI de l'UMR 7041 - ArScAn ont organisé le 7 juin 2002 une table ronde sur l'iconographie étrusque à l'occasion de la création de la base de données ICAR sur les scènes figurées de l'Italie préromaine [1]. La journée, présidée par Agnès Rouveret, a porté sur la question de la constitution de corpus archéologiques et iconographiques, y compris sous une forme numérique. D'autres contributions ont présenté des dossiers d'exégèse iconographique sur une ou plusieurs scènes figurées étrusques, en prenant en compte l'histoire des interprétations depuis le XIXe siècle ou en proposant de nouvelles lectures, reflétant l'approche historiographique que s'est assignée la base ICAR.

Les actes, qui sont édités grâce à la collaboration d'Airton Pollini (Université de Paris X-Nanterre), reproduisent les réflexions présentées lors de cette journée à la MAE de Nanterre. S'y ajoutent d'autres travaux qui se sont développés ultérieurement et qui complètent la thématique retenue.

Natacha Lubtchansky (Université de Tours, UMR 7041 - ESPRI)

[1] Programme de la journée d'étude : Nouvelles approches en iconographie étrusque. Autour de la base ICAR. (Maison René-Ginouvès - Nanterre, 7 juin 2002) :

  • 10h00 - 10h15 : Ouverture par N. Lubtchansky (Université de Tours / UMR 7041 - ESPRI - ICAR).
  • 10h15 - 10h45 : Dominique Frère (Université de Lorient), Dictionnaire informatisé des vases grecs, étrusques et italiques à scènes figurées des Pays de la Loire et de Bretagne.
  • 10h45 - 12h30 : Natacha Lubtchansky, Annick Fenet (UMR 7041 - ESPRI - ICAR), Sylvain Mottet (CNRS / Université de Paris V), Présentation de la base de données ICAR des scènes figurées de l'Italie préromaine.
  • 14h45 - 15h15 : Jean-René Jannot (Université de Nantes), « Assemblées de femmes » représentées sur quelques images étrusques.
  • 15h15 - 15h45 : Thierry Piel (Université de Nantes), Plaidoyer pour un lexique de l'imagerie étrusco-latine : l'exemple des insignes du pouvoir.
  • 16h00 - 16h30 : Laurent Haumesser (Université de Paris X - Nanterre / UMR 7041 - ESPRI - ICAR), Les peintures du sarcophage du prêtre de Tarquinia. Analyse de l'organisation des scènes figurées.
  • 16h30 - 17h00 : Laurent Hugot (Université de Nantes), Une approche « archéologique » des scènes figurées sur la céramique étrusco-corinthienne : l'exemple des scènes figurées sur le cratère de Gobbi.
  • 17h00 : Discussion finale coordonnée par Agnès Rouveret (Université de Paris X - Nanterre / UMR 7041 - ESPRI).

Deux vases inédits du Peintre de Castellani

par Dominique Frère (Université de Lorient)

Deux vases étrusques d’imitation corinthienne inédits se révèlent d’un grand intérêt historique d’une part par l’originalité de leur iconographie et d’autre part par leur contexte archéologique et leur provenance. Ils ont été mis au jour par Claude Albore Livadie dans la nécropole de Calatia, petite cité de Campanie intérieure au nord de la vallée du Clanis, à une vingtaine de km au sud-est de Capoue dont elle subit la forte influence politique et culturelle [1]. La culture matérielle de Calatia est en effet la même que celle de Capoue depuis la phase IIc de l’Orientalisant ancien, soit la fin du VIIIe s. Nous avons ainsi, pour une grande partie de l’Orientalisant, un chapelet de cités, Calatia, Suessula, Nola, qui, partant de Capoue, relaient l’influence étrusque le long d’une voie intérieure qui permet sans doute de contourner la présence eubéenne de Pithécusses et Cumes. Cette route terrestre mène aux cités de la vallée du Sarno, Pompéi et Nocera et à la cité picentine de Pontecagnano. Capoue au nord et Pontecagnano au sud représentent les deux cités « étrusquisées » les plus importantes de Campanie à l’époque archaïque, « étrusquisation » marquée par les importations nombreuses de vaisselle en bronze, d’amphores, de vases étrusco-corinthiens et en bucchero nero et surtout par l’implantation d’ateliers imitant les productions céramiques étrusques, attestation de la venue d’artisans originaires d’Etrurie méridionale [2]. C’est sur les prémices de cette riche période d’échanges entre l’Etrurie méridionale et  la Campanie intérieure et méridionale que nos deux vases de Calatia apportent un témoignage précieux.

I- La description des deux vases et l’interprétation des motifs iconographiques

Il s’agit de deux aryballes à décor polychrome, oeuvres du peintre de Castellani dont l’atelier est spécialisé dans la production de ces petits contenants à huile parfumée d’origine corinthienne. La technique du décor dit « polychrome » est caractérisée par l’usage d’un vernis brun marron sombre, légèrement luisant, qui recouvre l’ensemble  du bandeau destiné à la décoration (et non pas  seulement les seules silhouettes des motifs comme dans le cas de la technique à figures noires). Sur ce fond sombre, les contours des motifs sont rendus par incision ainsi que les détails internes qui sont de plus (pour nombre d’entre eux), mis en valeur par des couches épaisses de rehauts blanc crème et violets. Il apparaît que cette technique du décor polychrome, caractéristique de deux groupes d’Etrurie méridionale [3], le groupe de Monte-Abatone et le groupe de Castellani, est de tradition locale et les rapprochements peuvent être nombreux avec les vases en bucchero nero du dernier tiers du VIIe s., dont les fins décors incisés étaient rehaussés de couleurs surajoutées comme l’a démontré Jean Gran-Aymerich [4]. Les rapprochements entre le bucchero nero et les vases polychromes concernent donc la technique de décoration mais aussi les thèmes iconographiques. Nous retrouvons souvent sur ces deux séries contemporaines de vases étrusques des théories d’animaux orientalisants, panthères, lions, griffons, sphinges, cerfs paissant [5], parfois accompagnés d’un cavalier.

C’est le sujet de l’aryballe de la tombe 290 (
figure 1

) : un cavalier à la longue chevelure, le bras droit fléchi en avant sans doute pour tenir les rênes, se dirige vers la droite, semblant prendre la tête d’un défilé fantastique formé d’un griffon ailé et d’un équidé. Un motif végétal haut à deux volutes (un arbre ?) sépare le griffon de l’équidé tandis qu’une palmette phénicienne est disposée au-dessus de ce dernier. Dans le monde étrusque de l’Orientalisant récent ce type de représentation à connotation funéraire est fort répandu, et nous pouvons citer comme exemple le plus connu les peintures de la paroi du fond de la première chambre de la tombe Campana de Véies contemporaine des vases polychromes et pour lesquelles, justement, avait déjà été remarqué un patrimoine iconographique commun avec les oeuvres du Peintre de Castellani [6]. Nous assistons au voyage du défunt vers l’au-delà, la porte même de la deuxième chambre représentant l’accès au monde infernal [7]. Ce voyage périlleux, peuplé de monstres dangereux et créatures fantastiques, est pour l’aristocrate un véritable parcours triomphal. Par son action cynégétique héroïque, il est devenu maître des animaux sauvages. Animaux sauvages dans le monde des vivants, animaux fantastiques dans celui des morts ou plutôt dans cet espace outre-tombe, peuplé de monstres dangereux, créatures fantastiques et plantes exubérantes qui sépare l’univers matériel, terrestre, de l’au-delà.
C’est le même univers d’outre-tombe qui est représenté sur le second vase de notre étude, découvert dans la tombe 257 de Calatia (
figure 2

). Le décor y est structuré en deux bandeaux. Sur le bandeau supérieur se déploient les sinuosités de deux serpents à langue fourchue, aux écailles rehaussées d’un point violet bien visibles. Séparés par un grand motif végétal à deux volutes et à deux branches centrales, ils s’éloignent l’un de l’autre, celui de gauche est vu de profil vers la gauche, avec la gueule ouverte laissant visibles ses dents. Si ce reptile est identique à nombre de ceux que nous observons sur les productions contemporaines, bucchero nero en particulier (il est très proche de celui figuré sur l’aryballe de Montalto di Castro), il n’en n’est pas de même de celui de droite qui, vu de dessus, a la partie antérieure du corps beaucoup plus épaisse et qui surtout, est caractérisé par une tête léonine avec deux petites oreilles courbées pointues. Le motif du serpent à tête léonine, d’origine orientale est, bien que relativement rare, connu dans le monde étrusque, le meilleur exemple étant la queue de la sphinx de la partie gauche du fronton du mur du fond de la chambre principale de la célèbre tombe des Taureaux de Tarquinia qui date du début de la seconde moitié du VIe s. [8]. Sur le bandeau inférieur, un chien à deux ou trois têtes humaines court vers la gauche entre deux motifs végétaux. La première tête est vue de profil vers la gauche, la seconde de profil vers la droite et il semble qu’une troisième, au centre, soit représentée de dos. La palmette phénicienne de droite est d’un type commun dans les ateliers étrusques, à la différence du motif floral longitudinal de gauche formé d’une sorte de bandeau sinueux duquel se détachent à gauche trois palmettes horizontales. Si, pour l’interprétation de cette scène, nous songeons aussitôt à Cerbère, le chien d’Hadès ou à Orthos le chien du bouvier Eurytiôn, gardien du troupeau de Géryon, ces rapprochements avec le mythe d’Héraklès posent de sérieux problèmes. En ce qui concerne l’apparence d’abord : Cerbère peut-être représenté avec une, deux ou trois têtes, mais ce sont toujours des têtes de chiens, exceptionnellement des têtes léonines et le corps est recouvert de serpents [9]. Orthos, quant-à lui est très rarement représenté dans le monde grec et, dans tous les cas, il apparaît avec deux têtes de chiens et toujours dans le contexte du combat entre Héraklès et Géryon [10]. En ce qui concerne la chronologie ensuite : la première représentation de Cerbère dans le monde grec est postérieure d’une cinquantaine d’années à celle qui nous intéresse, puisqu’elle apparaît sur une coupe du Corinthien récent découverte à Argos ; quant à la plus ancienne description du Xe travail d’Héraklès, on considérait qu’il s’agissait de celle décorant le pectoral de cheval en bronze découvert à Samos et qui date de l’extrême fin du VIIe s. (voir détail à la
figure 7

). En dehors des mythes connus il existe dans le monde grec archaïque quelques représentations énigmatiques d’une créature hybride qui prend la forme d’un quadrupède à tête humaine [11]. Cette femelle monstrueuse, tenue en laisse par Héraklès, ne peut-être Cerbère et garde le mystère de son identité. Par son apparence physique comme par sa datation (fin du VIe s.), ce « monstruous pet » ne peut être comparé à notre créature de Calatia.

Alors que nous désirions défricher la voie vers la compréhension de cette iconographie énigmatique, il semble que le problème soit en fait de plus en plus épineux : non seulement ce monstre est unique dans le vaste domaine de l’Orientalisant mais de plus, il apparaît comme la première représentation d’un chien à plusieurs têtes, et cela sur un vase étrusque découvert en Campanie. Si nous renonçons à la voie des mythes grecs, il nous reste à prendre la direction de l’iconographie spécifiquement étrusque. Les hommes à tête de chien et de loup y sont connus ainsi que les hommes tricéphales, les premiers faisant référence à des divinités étrusques [12] et les seconds à des mythes autochtones étudiés par A.-M. Adam [13]. Notons de même sur une amphore en impasto de la seconde moitié du VIIe s. la représentation d’un homme à deux têtes luttant contre deux griffons que l’on peut sans doute interpréter comme une figure de despotes theron [14].

Le Peintre de Castellani représente lui-même un homme à tête de lion (
figure 3

) dont les prototypes sont sans doute les lions-démons assyriens qui apparaissent sur les reliefs du palais d’Assurbanipal [15]. Si nous n’avons pas de chiens à une ou plusieurs têtes humaines, notons toutefois ce goût prononcé pour le fantastique et l’irréel, l’hybridation de personnages qui fait de l’Etrurie un réceptacle privilégié pour les représentations polymorphes d’origine orientale et pour les expériences créatives originales. Dans le domaine de la peinture sur vases, c’est dès la fin du VIIIe s., début du VIIe s., dans l’atelier du Peintre de Bocchoris, qu’apparaissent des créatures fantastiques d’origine orientale (
figure 4

) [16].
La première véritable adaptation locale d’un mythe grec décore une grande amphore du Peintre d’Amsterdam, qui, pour la représentation du dragon de Colchide, crée un superbe reptile tricéphale [17]. Nombre d’artistes étrusques des époques orientalisante et archaïque ont ce talent créatif, cette faculté imaginative de l’hybridation qui tourne parfois au grotesque. Cette tendance expressive est particulièrement bien représentée sur les vases à figures noires,  ceux produits dans les ateliers étrusco-corinthiens, dans l’atelier du Peintre de Micali, dans celui des Hydries de Caeré et enfin dans les officines de Capoue. Citons comme exemple d’adaptation spécifiquement locale du mythe hérakléen, la scène qui décore une face de l’amphore du Louvre CB 11 069 [18] (
figure 5

) : Héraklès fait face au Minotaure, transposition des sagas des deux principaux héros civilisateurs de l’époque archaïque, Thésée et Héraklès, véritable transgression du mythe qui ne peut exister que dans l’environnement étrusque [19]. Revenons à notre vase de Calatia pour poser une question : ne s’agit-il pas, comme pour l’amphore du Louvre, d’une confusion entre plusieurs personnages d’une saga grecque héroïque ? Confusion ou volonté de représenter en un seul être polymorphe Géryon aux trois têtes et le chien gardien de son troupeau Orthos ? Cette supposition est renforcée par deux éléments. Le premier est le fait que nous savons maintenant que la plaque de Samos n’est pas la plus ancienne représentation de la lutte d’Héraklès contre Géryon. La première apparition de Géryon est contemporaine de notre aryballe, datant de 640-630, et est bel et bien étrusque : il s’agit d’une plaque en ivoire récemment publiée, découverte dans le tumulus étrusque de Montefortini [20]. Le second est un détail décoratif , à savoir le motif végétal qui se développe à gauche du chien hybride et qui se révèle en fait être la version simplifiée du palmier tel qu’il apparaît sur le pectoral de Samos (
figure 6

) : sinueux, il se déploie à l’horizontale, le tronc marqué par une ligne centrale étant séparé du bouquet de palmes par une sorte d’anneau. Et c’est sans doute à une même forme de simplification que l’on assiste en ce qui concerne la greffe des têtes de Géryon sur le corps d’Orthos : sur le pectoral samien, Orthos est en effet représenté à l’arrière-plan, sous les trois boucliers ronds qui séparent le corps du chien à deux têtes des trois têtes de Géryon (
figure 7

). Orthos et Géryon qui subissent le même triste sort face à Héraklès sont étroitement unis dans le même motif iconographique, les têtes du chien devenant des têtes humaines. Le Peintre de Castellani s’inspire du modèle iconographique grec, sans doute véhiculé par d’autres oeuvres de la seconde moitié du VIIe s., et, dans l’esprit étrusque de cette époque, le transforme, l’adapte juste par une opération de simplification dont le résultat est la métamorphose de Géryon et d’Orthos en un seul être dont l’hybridation monstrueuse renforce son caractère chthonien.

II- Les contextes archéologiques et l’interprétation historique 

Voici donc deux vases à huile parfumée avec une iconographie à caractère spécifiquement funéraire, produits dans le même atelier d’Etrurie méridionale, sans doute Caeré, et découverts chacun dans une tombe à fosse de Campanie intérieure. Il suffit de visualiser la répartition des deux groupes de vases polychromes, celui de Monte Abatone et celui du Peintre de Castellani pour constater l’originalité de cette situation. L’aire de diffusion de la très grande majorité de ces vases est limitée à l’Etrurie méridionale et centrale, s’étendant de Roselle à Véies, avec seulement quatre exemplaires attestés dans le Latium, dont deux dans le sanctuaire de Satricum. Dans ce contexte, nos deux aryballes de Calatia se révèlent être fort isolés au sein d’une série de vases qui ne sont habituellement diffusés qu’à une échelle régionale. Cette exception est riche de sens et nous fournit des informations d’ordre historique sur la nature des contacts entre une puissante cité d’Etrurie méridionale et une petite cité campanienne. Notons que les découvertes de Calatia apportent aussi des informations d’ordre archéologique sur la datation des productions de l’atelier du Peintre de Castellani. Les datations de ces productions, habituellement découvertes dans les tombes à chambre étrusques à dépositions multiples ne reposent pas sur ces contextes archéologiques insuffisamment précis mais sur des critères morphologiques (les formes des modèles corinthiens) et stylistiques. A la différence de l’Etrurie, les tombes individuelles de Calatia fournissent des contextes funéraires précis pour l’étude desquels nous nous référons au système chronologique de l’Orientalisant récent élaboré par Werner Johannowsky et Claude Albore Livadie [21] :

  • Phase A : 640-620
  • Phase B : 620-590
  • Phase C : 590-560
Il n’est pas dans mon propos de faire une étude archéologique des deux dépôts funéraires qui nous intéressent [22]. Ils appartiennent tous deux à la phase A de l’Orientalisant récent campanien et se rapprochent de deux autres dépôts de même époque, ceux de la tombe 140 et de la tombe 29 qui possèdent les mêmes caractéristiques à savoir des importations d’aryballes étrusques, rhodien et corinthiens (c’est d’ailleurs la présence de ces derniers qui apporte le meilleur critère de datation). Hormis les deux aryballes qui nous intéressent, tous les autres importés à Calatia sont à décor subgéométrique simple mais de grande qualité (
figure 8

et
figure 9

). Les aryballes protocorinthiens à décor de doubles écailles incisées dont nous avons un exemplaire à Calatia (
figure 8

) ont donné lieu à des imitations dans l’atelier même du Peintre de Castellani [23] dans lequel ont de même été créés des modèles à décor linéaire originaux que nous retrouvons à trois reprises dans les tombes de Calatia (
figure 9

). Une des caractéristiques importantes de l’Orientalisant récent, c’est donc la diffusion de l’huile parfumée. Plusieurs faits attestent de l’importance qu’acquiert l’huile parfumée dans les milieux aristocratiques à cette époque : d’abord, à une échelle locale, le fait que les aryballes, qu’ils soient étrusques, corinthiens ou rhodiens, représentent la plus grande partie du matériel importé à Calatia, ensuite, à une échelle méditerranéenne, la constatation que l’on assiste, à partir des années 640/630 à une production massive de ces aryballes à Corinthe et à leur large diffusion. Songeons à l’implantation de l’atelier du Peintre de Castellani à Caeré qui reprend  à son propre compte les formes et les schèmes décoratifs des petits vases à huile parfumée corinthiens qui ont tant de succès en Méditerranée. Cette implantation d’un atelier qui se spécialise dans la production d’une forme absolument étrangère aux traditions céramiques étrusques témoigne d’un dynamisme créatif et d’une volonté politique et économique de jouer un rôle dans le vaste réseau d’échanges de l’Orientalisant récent. La carte de répartition des aryballes du groupe de Castellani (ou proches de ce groupe) montre que ce rôle, bien qu’à l’échelle régionale (Etrurie centrale et méridionale), est important. L’utilisation de l’huile parfumée est non seulement la marque d’une forme d’hellénisation mais aussi et surtout la volonté d’exhiber cette hellénisation. C’est la manifestation ostentatoire de l’habrosuné, d’un mode de vie à l’orientale, qui passe par l’utilisation d’un produit à connotation luxueuse et exotique et par l’adoption de rituels dans lesquels les parfums ont une place importante. Parmi ces rituels démonstratifs, la prothesis, l’exhibition du corps du défunt enduit de ces huiles parfumées symboles d’éternité [24].

Les aryballes de Calatia ont sans doute été utilisés pour la préparation des corps des défunts. Ils représentent dans le contexte campanien des années 640-620 des objets de prestige à forte connotation exotique réservés à une élite qui adopte, entre autres par l’intermédiaire étrusque, les valeurs aristocratiques orientalisantes. Ces valeurs et croyances sont véhiculées par les thèmes iconographiques mais aussi par la consommation du vin à la manière grecque qui est déjà ancienne en Campanie et par ce comportement nouveau qu’est l’usage de l’huile parfumée. Nous pouvons supposer, en référence à la pratique du don et contre-don, qu’il s’agit de cadeaux diplomatiques prestigieux qui permettent au donateur de faire la démonstration de son opulence (c’est une production de sa propre cité, voire même de son propre palais) et de matérialiser les ententes politiques entre familles aristocratiques. Ces ententes politiques se matérialisent surtout dans la période suivante, l’Orientalisant récent B (620-590), durant laquelle on assiste à des importations massives de produits d’Etrurie méridionale, non seulement dans cette région stratégique de Campanie intérieure qui comprend les cités de Capoue, Calatia et Suessula, entre le Volturne et le Clanis, mais aussi sur la côte méridionale, à Pontecagnano.

Conclusion

C’est leur fonction de cadeau diplomatique qui permet d’expliquer que ces deux vases, parmi les plus originaux de l’œuvre du Peintre de Castellani, sont destinés à une clientèle géographiquement très éloignée et très différente de celle habituellement dévolue à ce type de production. Ils témoignent de la diffusion auprès des élites indigènes de Campanie intérieure de tout un monde orientalisant, qui par le filtre étrusque, concerne le mode de vie, les rituels funéraires, les croyances eschatologiques et même les mythes grecs réinterprétés, adaptés au goût tyrrhénien pour le fantastique et l’hybridation monstrueuse. Ces objets de prestige, symboles de l’appartenance de leurs propriétaires aux cercles aristocratiques qui pratiquent des échanges à grande échelle géographique, sont les premiers jalons d’étroites relations politiques, économiques et culturelles entre la Campanie non grecque et l’Etrurie méridionale durant tout l’Orientalisant récent.

[1] Voir en particulier, J. Heurgon, Recherches sur l’histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine, Paris, 1970, p. 25 ; C. Albore Livadie, La nécropole préromaine de Calatia, thèse de doctorat soutenue à Nanterre, 1974 ; A. Carro, Calatia, dans Enciclopedia dell’Arte antica classica e orientale. Secondo supplemento, 1971-1994, p. 808-809 ; Donne di età orientalizante dalla necropoli di Calatia, Naples, 1996.

[2] Publications principales : C. Albore Livadie, La situazione in Campania, dans Il commercio etrusco arcaico, Rome, 1985, p. 127-154 ; W. Johannowsky, Materiali di età arcaica della Campania, Naples, 1983 ; Idem, A proposito delle importazioni di suppelettile di lusso e da tavola lungo la costa occidentale della Lucania e la Campania dalla fine del VII al IV secolo, dans Flotte et commerce grecs, carthaginois et étrusques en Mer Tyrrhénienne, PACT 20, 1988, p. 337-348 ; Idem, Capua antica, Naples, 1991 ; L. Cerchiai, Le officine etrusco-corinzie di Pontecagnano, Naples, 1990 ; Idem, I Campani, Milan, 1995 ; La presenza etrusca nella Campania meridionale, Florence, 1994.

[3] Publications de synthèse : M. Martelli, La ceramica etrusco-corinzia, dans La ceramica degli Etruschi. La pittura vascolare, Novare, 1987, p. 23-29 ; J. G. Szilágyi, La pittura etrusca figurata dall’etrusco-geometrico all’etrusco-corinzio, dans Secondo Congresso Internazionale etrusco, Florence, 1989, p. 613-635 ; Idem, dans Ceramica etrusco-corinzia figurata. Parte I, Florence, 1995, p. 35-93; F. Gaultier, Ceramiche dipinte di età arcaica, dans Gli Etruschi, Venise, 2000, p. 421-438.

[4] Le bucchero et les vases métalliques, dans Vaisselle métallique, vaisselle céramique. Productions, usages et valeurs en Etrurie, R. E. A. 97, 1995, p. 45-76.

[5] Sur les frises d’animaux fantastiques, voir J. M. J. Gran Aymerich, Situles orientalisantes du VIIe s. en Etrurie, dans  M. E. F. R. A. 84, 1972, p. 7-59.

[6] M. A. Rizzo, Pittura etrusca del Museo di Villa Giulia nelle foto di Takashi Okamura, Rome, 1989, p. 110.

[7] G. Colonna, Gli Etruschi e « l’invenzione » della pittura, dans Pittura etrusca, op. cit., p. 22.

[8] Rizzo, op. cit., pl. V, a.

[9] Lexicon Iconographicum Mithologiae Classicae VI, p. 31.

[10] Lexicon, op. cit.,  VII, p. 106.

[11] J. Boardman, A monstruous pet, dans Stips Votiva. Papers presented to C.M. Stibbe, Amsterdam, 1991, p. 7-10. Sur le dossier des animaux fantastiques en Grèce archaïque, voir en particulier D. Woysch-Méautis, La représentation des animaux et des êtres fabuleux sur les monuments funéraires grecs. De l’époque archaïque à la fin du IVe s. av. J.-C., Lausanne, 1982.

[12] I. Krauskopf, Influences grecques et orientales sur les représentations de dieux étrusques, dans Les Etrusques, les plus religieux des hommes, Paris, 1997, p. 25-36, en particulier, p. 25.

[13] A.-M. Adam, Monstres et divinités tricéphales dans l’Italie primitive. A propos de deux figurines en bronze étrusques, dans M. E. F. R. A. 97, 1985, p. 577-609.

[14] G. Camporeale, La collezione C.A. Impasti e buccheri. I, Rome, 1991, n°37, p. 43-45, fig. 6.

[15] Oenochoé du musée de la Villa Giulia, inv. 12188, dans Szilágyi, Ceramica etrusco-corinzia, op. cit., n°1, p. 67, fig. 12, pl. XIV, d.

[16] F. Canciani, La ceramica geométrica, dans La ceramica degli Etruschi, op. cit., n°21 et 22, p. 77 et p. 251-252.

[17] Voir en particulier : R. Dick, Un’anfora orientalizzante etrusca nel museo Allard Pierson, dans Bulletin Antieke Beschaving 56, 1981, p. 45-74 ; M. Martelli, La ceramica orientalizzante, dans La ceramica degli Etruschi, op. cit., n°41, p. 94.

[18] N. J. Spivey, The Micali Painter and his followers, Oxford, 1987, p. 45.

[19] Sur l’adaptation des mythes grecs en Etrurie et les « manipulations » de scènes d’origine grecque, voir en particulier M. Menichetti, Archeologia del Potere. Re, immagini e miti a Roma e in Etruria in età arcaica, Milan, 1994, p. 12, avec bibliographie antérieure à la note 9.

[20] Pour la représentation de Géryon : Gli Etruschi, op. cit., p. 474, cat. 119, p. 577-578. Pour celle de sa mère :  Principi Etruschi tra Mediterraneo ed Europa, Venise, 2000,  p. 246, n°311 p. 257.

[21] W. Johannowsky, Problemi di classificazione e cronologie di alcune scoperte protostoriche a Capua e a Cales, dans Studi Etruschi, 1964, p. 685 ; C. Albore Livadie, Notes de typologie et de chronologie, dans Le bucchero nero étrusque et sa diffusion en Gaule méridionale, Bruxelles, 1979, p. 91.

[22] Qui feront l’objet d’une prochaine publication.

[23] La qualité particulière du vernis à reflets métalliques, les caractéristiques de la pâte, les formes et les dimensions de ces unguentaria en attestent, de même, la technique de décoration à incisions et l’emploi de rehauts de couleurs est celle des vases polychromes.

[24] Une inscription gravée sur un aryballe corinthien découvert à Tarente prouve que ces huiles parfumées sont vraiment un symbole d’éternité : « J’espère l’éternelle demeure et beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup de joie » (F. Gino Lo Porto, Iscrizione arcaica tarantina su un ariballo corinzio, dans La Parola del Passato CCCXVIII, 2001, p. 211-216.

Les escaliers monumentaux en Etrurie

par Laurent Hugot (Université de Nantes)

Nous souhaitons, à l'occasion de cette rencontre de Nanterre, nous pencher sur l'iconographie du fameux cratère étrusco-corinthien du Peintre "delle Code Annodate" trouvé dans la tombe I du tumulus I, dans la zone A de la Nécropole de la Banditaccia de Cerveteri (dit cratère de Gobbi). Ce vase, conservé au Museo Archeologico de Cerveteri [1] est daté des années 590-570 [2].

L'iconographie étrusque du début du VIème siècle avant J.C. est souvent de lecture très difficile. Nous percevons les éléments que les artistes étrusques ont empruntés aux Grecs ou aux Orientaux, mais la construction des scènes et leur signification globale nous échappent le plus souvent. Le problème devient encore plus prégnant lorsque les motifs qui apparaissent sont spécifiquement étrusques comme c'est le cas des deux curieux escaliers de pierre qui sont figurés sur le cratère du Peintre "delle Code Annodate"

I- Les frises du cratère du peintre "delle Code Annodate".

I.1- La frise de la panse (
fig.1a
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 1a : Cratère dit de Gobbi. Frise de la panse. 590-570.Martelli 1987, p. 132.

).

Cette frise, la plus complexe, est composée de trois scènes qui semblent indépendantes. La première est un combat entre Héraclès, revêtu de sa léonté, et un double ou triple guerrier qui est vraisemblablement Géryon (trois bœufs à sa droite) [3]. Héraclès tire une flèche sur le guerrier muni d’une lance.

Le second groupe est composé d'une femme et d'un centaure qui se font face. Le centaure, à droite, tient une sorte de bâton dans sa main gauche et il présente un canthare, tenu dans sa main droite, à la femme qui se trouve devant lui. Celle-ci est vêtue d'un long manteau, elle tient une petite boule entre son pouce et son index gauche, au-dessus du canthare. Au-dessus de la croupe du centaure, une sirène (peut-être à face humaine) à quatre ailes vole vers la droite de la scène.

La dernière scène est beaucoup plus complexe. Derrière la femme, un cavalier au galop est de profil gauche. Puis une femme de grande taille, de profil gauche, vêtue d'un long manteau, présente une patère dans sa main droite au-dessus des premières marches d'un escalier monumental construit en petit appareil. Un homme, dont seule la partie inférieure est visible à cause d'une lacune et qui est sans doute vêtu d'un perizôma, monte les marches du monument avec une femme sous son bras gauche. Cette dernière est vêtue d'un long manteau et ses bras sont tendus vers les bras d'un énorme serpent à tête et à bras humains dont le corps sort de l'autel.

I.2- La frise de l’épaule (
fig.1b
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 1b : Cratère dit de Gobbi. Frise de l'épaule. 590-570.Martelli 1987, p. 132.

).

Une seconde frise, plus courte et plus étroite, sur l'épaule du vase, représente une procession de trois personnages et d’un bœuf en direction d'un monument en forme d’escalier situé à l'extrême gauche de la scène. Ce monument est semblable à celui qui se trouve sur la frise de la panse mais il est placé dans un contexte différent. Un personnage de profil droit, vêtu d'un épais manteau, est assis sur les marches de la construction monumentale. Il présente, dans sa main droite, un petit objet au bœuf qui marche vers l'escalier. L'animal précède un homme qui le tient en laisse par une patte. L'homme est barbu, vêtu d'un long manteau et il est coiffé d'un bonnet pointu. Il est suivi d'un homme de profil gauche dont seules la tête et une jambe sont visibles. Puis, le vase présente une lacune importante qui s'interrompt pour nous faire découvrir un cavalier de profil gauche jouant d'un long tuba, une sirène, de profil droit, clôt la scène.

I.3- Analyse.

L'analyse de ces deux scènes est complexe. La scène de la panse a été souvent étudiée, les auteurs ont essayé de trouver une cohérence à l'intérieur de cette frise sans toutefois obtenir de résultats satisfaisants [4]. On en a ensuite déduit qu’il s’agissait de trois scènes sans lien apparent. Ceci ne doit pas nous étonner car les premières scènes figurées narrant des épisodes mythologiques complexes n’apparaissent en Grèce, précisément à Athènes, qu'à partir des années 580-570 avec le peintre Sophilos, contemporain du peintre delle Code Annodate. La première scène peut être analysée sans trop de difficultés, même si on ne trouve pas de comparaisons strictes dans la céramique grecque ou étrusque [5] ; il s’agit de toute évidence de la lutte entre Héraclès et Géryon : on pense au Géryon de Stésichore (vers 640-550) qui semble avoir marqué les esprits à cette époque. La seconde scène est plus difficile, l’identification du centaure avec Pholos est incertaine. Il n’existe pas de scènes comparables en Etrurie ou en Grèce à la même époque [6] et il est probable que ce centaure est un monstre psychopompe. Quant à la scène finale, l’hypothèse retenue à ce jour est celle de Fischer Hansen qui pense à la représentation d'un épisode mythologique grec relatant une scène de sacrifice humain et plus précisément le sacrifice de Polyxène sur le tombeau d’Achille [7]. Pourtant, plusieurs éléments fragilisent cette hypothèse. Premièrement, la femme et le monstre tendent les bras l'un vers l'autre, la femme n'est pas terrorisée et elle semble au contraire ravie d'être accueillie par le serpent. On retrouve en Etrurie sur une plaque Campana contemporaine du cratère de Gobbi, deux hommes ailés qui portent une femme et qu'on a identifié à une défunte emportée vers l’au-delà par deux êtres psychopompes [8]. En second lieu, il n'existe pas en Grèce ou en Etrurie de scènes comparables. A Athènes, une scène célèbre peinte par Timiadès sur une amphore tyrrhénienne datée des années 565-550 représente le sacrifice de Polyxène [9]. Dans ce cas, la femme est tenue fermement par trois guerriers, elle est égorgée au-dessus d’un tertre [10] et il n'y a pas de monstre-serpent. Il faut ajouter que ce monstre est à ce jour un unicum. On connaît de nombreux monstres hommes-serpents (Nérée) mais ceux-ci ont toujours un buste et une tête humaine, et pas seulement une tête et des bras humains comme sur le cratère dit de Gobbi.

La scène qui se déroule devant l'escalier monumental est fondamentale pour la compréhension de l'ensemble de la frise. Pourtant, l'élément central de cette scène, l'escalier monumental, a été rarement étudié.

La seconde frise située sur l'épaule du vase représente une procession que l’on décrit habituellement comme sacrificielle. Des lacunes importantes, au centre, nous privent d’éléments importants mais on peut conserver cette lecture sacrificielle sans risque d’erreur. Le personnage le plus à droite joue d’un long tuba qui n’est pas un instrument de musique militaire mais plutôt religieux [11]. Le personnage menant le bœuf n’est pas à coup sûr un haruspice comme cela a été trop rapidement affirmé à cause la forme de son couvre chef mais il est assurément un magistrat [12]. Ce type de chapeau est fréquemment porté par des personnages dont on ne peut affirmer si l'autorité était politique ou religieuse. Il s'agit du moins d'un personnage ayant un rôle important dans la vie communautaire. Le personnage, sans doute féminin, assis sur les marches du monument semble être une défunte qui assiste à un sacrifice funéraire.

Plusieurs éléments, sur le cratère dit de Gobbi, trouvent des comparaisons avec des realia. Il s'agit naturellement du canthare à la forme élégante que tient le centaure et qui est la représentation d'un vase métallique. La forme de l'instrument de musique est très particulière. Il se distingue des habituels lituus étrusques à l'extrémité recourbée, il s'agit d'un tuba. Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement est l'élément commun entre les deux frises, il s’agit du grand escalier de pierre qui dans les deux cas se trouve à l’extrême gauche de la scène. La scène de l’épaule est plus petite et le monument est moins bien représenté mais il s’agit bien dans les deux cas du même monument placé dans deux contextes différents : un escalier monumental, une construction de grande taille en petit appareil et qui est percé au sommet. Cet élément commun peut être utilisé comme clé de lecture pour mieux comprendre ces deux scènes.

II- Les monuments en forme d’escalier en Etrurie et en Grèce.

II.1- Les monuments en forme d'escalier dans le monde grec.

Il n'en existe pas de semblable en Grèce. Krauskopf pense que ce type de monument dérive des autels de la sphère syro-phénicienne [13], mais sans en apporter la preuve.

Des comparaisons plus pertinentes peuvent être faites avec un monument peint sur le sarcophage d'Agia Triadha et daté de la fin du second millénaire que Yavis pense être un autel funéraire (
fig. 2
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 2 : Sarcophage d'Agia TriadhaYavis 1949, fig. 13.

). Il s'agit d'une scène d'offrande et de libation probablement sanglante devant un escalier, derrière lequel un homme se tient debout. Toutefois le hiatus chronologique entre les deux documents est beaucoup trop important pour que cette comparaison puisse être commentée d'avantage.

Les autres comparaisons ne peuvent être faites avec des autels mais avec des tribunes le plus souvent destinées aux spectateurs assistants aux jeux en l'honneur de Patrocle.

a- Fragment de vase attique à figures noires représentant les jeux en l'honneur de Patrocle (
fig. 3
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 3 : Fragment de vase à figures noires Jeu de Patrocle.Inghirami F., vol. 4, 1837, tav. CCCVII.

).
b- Cratère corinthien à figures rouges représentant la mission des héros grecs à Troie (625-550). (
fig. 4
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 4 : Cratère Corinthien à figures noires. Mission des héros Grecs à Troie. Vatican. Boardmann 1996.

).
c- Dans une moindre mesure le fragment de dinos de Sophilos (580-570) représentant les jeux en l'honneur de Patrocle. (
fig. 5
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 5 : Fragment de dinos à figures noires signé par Sophilos (jeux de Patrocle). 580-570.Boardmann 1996.

).

Pourtant, aucune de ces comparaisons n'est absolument satisfaisante et il faut remarquer que les comparaisons peuvent être faites avec un autel ou plus souvent avec des gradins, les marches servant alors de siège pour les spectateurs. C'est dans ces deux contextes, de siège et d'autel, qu'est représenté l'autel de pierre étrusque figuré par deux fois sur le cratère dit de Gobbi. En Grèce, le théâtre est le plus souvent au départ conçu comme un escalier monumental menant au temple. C'est aussi selon ce principe que Pompée construisit un théâtre à Rome devant son temple de Vénus Victrix en 55 avant J.-C. Il affirma construire un escalier monumental pour accéder au temple de Vénus Victrix car les Romains n'acceptaient pas la construction par un particulier dans la ville de Rome d'un espace pouvant servir de tribune à un seul homme. Le théâtre de Pompée fut donc officiellement un escalier monumental qui permettait d'accéder au temple. Cette double fonction de l'escalier monumental (moyen d'accéder à un édifice et gradin) est donc largement attestée dans l'Antiquité.

II.2- Des comparaisons dans le monde étrusque.

Dans le mode étrusque, on a rapproché les constructions de notre cratère d'une représentation sur les anses d'une coupe skyphos de bucchero conservée à Heidelberg (
fig. 6
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 6 : Anse d'une coupe skyphos de bucchero. 550-500.Krauskopf 1974, pl. 6, 1.

) [14]. Un personnage en manteau, tenant un sceptre devant lui est assis devant un escalier qui est de la même taille que lui et qui est surmonté d'un motif en forme de "U" [15]. Ce vase est daté de la seconde moitié du VIème siècle, plusieurs dizaines d‘années après le cratère dit de Gobbi. L'escalier n'est pas semblable à ceux du cratère du peintre delle Code Annodate car, en plus du hiatus chronologique, l'escalier de la coupe d'Heidelberg est fait d'un seul bloc, il ne s'agit pas d'une construction. Il faut plutôt comparer cet escalier à de petites constructions en forme d’escalier, taillées dans la roche, qui sont disséminés dans la campagne de la Tolfa, dans des zones de nécropoles ou près d'une nécropole. Il s'agit en particulier de curieux escaliers rupestres qui rappellent la Scala Santa de Sorgenti della Nova [16] (
fig. 7
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 7 : Scala Santa de Sorgenti della Nova.Rittatore Vonwiller 1982.

) (datée du bronze final). L'un se trouve près du château de Rota situé entre Ferento et Meonia (
fig. 8
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 8 : Monuments de la Tolfa.Colonna di Paolo 1984, p. 524, 4, fig. 5.

) et l'autre près de Manziana (
fig. 9
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 9 : Monument de Manziana.Euwe-Beaufort.

). Ces deux monuments à escalier ont un puits au sommet et disposent de canalisations. Ceci prouve que des libations étaient effectuées sur ces monuments et que le liquide s'écoulait ensuite dans le sol. Toutefois la taille des puits, trop importante, semble montrer qu'ils pouvaient contenir une urne cinéraire, ils seraient alors identifiés à des tombeaux. Ces escaliers sont très mal datés mais il faut selon nous les placer dans la seconde moitié du VIème siècle [17].

Les comparaisons avec les représentations grecques, étrusques et avec les monuments rupestres de la Tolfa ne permettent d'obtenir que des résultats limités. Il faut, pour avancer dans nos réflexions, aller voir si, en Etrurie, existaient des constructions semblables à celles peintes sur le cratère dit de Gobbi.

II.3- De nouvelles comparaisons archéologiques.

II.3.1- Le bâtiment proche de la Cuccumella de Vulci [18].

La reprise des fouilles près de l'extraordinaire monument funéraire de la Cuccumella (
fig. 10
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 10 : Construction près du tumulus de la Cuccumella de Vulci. Sgubini Moretti 1994.

) dans les années quatre-vingts permit de mettre au jour à l'est du tumulus une grande base rectangulaire de 14 x 8 mètres dont il reste seulement les fondations. A. M. Sgubini Moretti pense qu'il s'agit d'un autel à antes précédé d'une longue rampe ou d'un escalier. Le caractère sacré du monument est confirmé par la présence, tout autour, d'un grand nombre de tombes creusées au plus près de l'édifice. Le seul lien entre le tumulus et l'autel semble être géographique. Il faut lier l'autel, non pas avec le tumulus mais avec une petite tombe située devant, même si cette grande construction peut sembler démesurée par rapport à la taille de la tombe. Près de l'angle sud-est de la construction, sous l'espace qui devait accueillir les sacrifices, les fouilleurs ont dégagé un petit canal en "L" creusé dans la roche naturelle. Ceci est un indice fondamental qui permet d'identifier ce monument à un autel car ce canal montre que des libations étaient effectuées sur l'autel qui était transpercé d'un canal se terminant dans les fondations. Cet autel, en relation avec un culte funéraire, n'était pas un autel à antes car ces autels, en Etrurie ou dans le Latium, sont généralement plus récents que celui de la Cuccumella et ils ont un plan au sol en "T" et non rectangulaire comme à la Cuccumella. Il est possible de dater assez précisément la construction de cet édifice grâce à la découverte près de l'ante nord de l'autel d'un vase de bronze daté des environs de 580 (hydrie?) et qui était probablement un dépôt de fondation. Le plan des fondations montre clairement que ce monument était composé d'une seule structure qui est séparée en deux aux 2/3 de la longueur ; la partie la plus longue est ce qui reste de la rampe et la plate forme finale est presque carrée. Ce monument était pourvu d'un puits au sommet. On peut constater que, si on tente de reconstituer l'édifice à partir des éléments qui sont à notre disposition, on obtient alors un monument très semblable à celui, contemporain, représenté par deux fois sur le cratère dit de Gobbi.

II.3.2- Le bâtiment proche de la Cuccumettella de Vulci [19].

Un édifice semblable fut également construit près du petit tumulus de la Cuccumettella (
fig. 11
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 11 : Tumulus de la Cuccumettella de Vulci. Sgubini Moretti 1994.

), encore à Vulci, à la fin du VIIème siècle. Il s'agit d'une structure à plan rectangulaire, bipartite dans le sens de la largeur et orientée vers le sud-sud-est, adossée au tambour du tumulus (vers l'est). Cette structure couronne une tombe à chambre unique avec un vestibule à ciel ouvert. Les fondations font penser à un monument semblable au précédent mais avec une structure beaucoup plus légère.

III- Une reconstitution chronologique et historique des escaliers monumentaux en Étrurie.

Vers la fin du VIIème siècle et au début du siècle suivant, les gentes étrusques sont en pleine période de mutation. La plupart des familles n'ont plus les moyens ou/et la volonté de construire de nouveaux tumuli pour enterrer leurs morts. Quelques familles décident alors de construire de grands monuments en forme d'escalier, un autel funéraire, au-dessus de leur tombe ou devant celle-ci. Ces monuments ont la même fonction que les anciens tumuli à rampe d'accès [20] mais ils en sont des reproductions simplifiées et miniaturisées. Les escaliers permettaient d'atteindre une plate forme où des libations étaient pratiquées dans un puits en l'honneur des défunts. Ce phénomène prit une autre forme à Grotta Porcina (
fig. 12
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 12 : Plan de Grotta Porcina. Romanelli 1986.

) avec la construction d'une aire cultuelle qui n'est dans sa forme qu'une reproduction miniature d'un tumulus avec sa rampe d'accès.

Nous sommes ici à une période charnière de l'histoire étrusque : les tumuli sont toujours utilisés, on creuse même parfois de nouvelles tombes dans les vieux tumuli mais on n'en construit plus de nouveaux. Dès la première moitié du VIème siècle, une "classe moyenne" cherche à imiter la vie des grands aristocrates mais sans avoir les moyens de construire des tombes de dimensions aussi importantes. C'est ce que montrent les deux structures étudiées précédemment, elles permettaient de reproduire les mêmes cultes que ceux qui étaient pratiqués sur les tumuli mais à une échelle inférieure.

Les monuments peints sur le cratère de Gobbi sont très vraisemblablement les représentations de monuments semblables à ceux de Vulci. Ils nous apportent des informations très importantes sur les pratiques funéraires étrusques.

Le culte est très clairement chtonien puisque les défunts étaient accueillis par des êtres monstrueux. Le serpent à buste humain est un monstre chtonien qui vit sous la terre et qui communique avec les vivants grâce à l'autel percé d'un canal. La libation est présente par l'intermédiaire de la femme devant l'autel et elle confirme encore la nature chtonienne du culte. La femme qu'on apporte sur l'autel n'est pas la victime d'un sacrifice humain mais une défunte qui va être accueillie par ce monstre dans l'au-delà. Les monstres bienveillants qui accueillent les défunts sont très nombreux en Etrurie, Charu et Tuchulcha n'ont pas un physique beaucoup plus avenant que le monstre du cratère de Gobbi.

Le vocabulaire iconographique de la scène de la panse du vase est grec (sacrifice d'une femme, Polyxène ou Iphigénie (?), Centaure, Héraclès, Geryon, oiseau à face humaine) mais les éléments ont été décomposés puis recomposés pour les besoins narratifs étrusques. Les thèmes de ce vase sont funéraires et mythologiques mais il serait vain de chercher à décoder cette scène avec le vocabulaire iconographique grec et en chercher une explication globale. Ce vase est une production locale faite par ou pour des Étrusques, il présente un univers mixte avec des monstres qui peuplaient les voies vers l'au-delà étrusque et la représentation de l'accueil d'une femme par un être psychopompe grâce à un sacrifice qui permet d'entrer au contact avec "l'autre monde" en abolissant les barrières entre ces deux mondes. La scène de l'épaule présente une procession avant un sacrifice funéraire en l'honneur d'une défunte. L'animal sacrifié est ici un bovin. Nous ignorons si c'est le sacrifice effectué lors des funérailles ou lors d'une cérémonie périodique qui est représenté. L'escalier est figuré dans un contexte différent de l'autre, le monument est désormais le lieu de résidence de la défunte et on peut constater que l'escalier sert également ici de gradins (nous avons déjà noté que les seules comparaisons contemporaines possibles avec le monde grec sont avec des gradins). L'étude des tumuli étrusques nous a, par ailleurs, permis de mettre en évidence la double fonction d'escalier et de gradins des escaliers d'accès aux tumuli étrusques (Tarquinia, Fiesole) [21]. En Etrurie, le monument funéraire gentilice était souvent aussi le lieu de réunions périodiques de la gens. Ceci nécessitait des gradins pour accueillir les participants à ces rassemblements.

Les monuments de Tolfa, de Manziana et l'escalier de la coupe-skyphos d'Heildelberg sont des monuments dérivés des escaliers monumentaux funéraires de la fin du VIIème siècle et du début du VIème siècle. Leurs dimensions ont encore été réduites mais ils ont toujours les mêmes fonctions de cippe et de lieu de culte funéraire. C'est une fonction identique qu'ont aussi les trônes rupestres de cette région.

L'analyse conjointe et précise de l'iconographie et des sources archéologiques étrusques permet donc de parvenir à des résultats surprenants. Elle montre que la confrontation entre l'iconographie grecque et celle étrusque ne doit être qu'un élément parmi d'autres dans l'analyse de l'iconographie étrusque.

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[1] Inv. : 19539.

[2] Banti 1966. Fischer-Hansen 1976, p. 20-27. Martelli 1987, n°85, pp. 289-291, fig. 85, p. 132 (avec bibliographie antérieure). Euwe-Beaufort, pp. 41-50.

[3] Une lacune nous prive d'une grande partie du corps du personnage.

[4] Voir note 2.

[5] Voir LIMC, Geryoneus, Héraclès.

[6] Nous n'avons pas trouvé de parallèles pour le bâton du centaure et pour le centaure lui-même.

[7] Fischer-Hansen 1976.

[8] Présentation dans Roncalli 1965, tav. III. Le fait que cette scène soit ou non mythologique (sacrifice d'Iphigénie) a peu d'importance pour notre démonstration.

[9] Boardmann 1996, fig. 57.

[10] Quelque chose de semblable sur le fragment du New York Nessos Painter (
fig. 13
L. Hugot, Les escaliers monumentaux en Etrurie

Figure 13 : Fragment de cratère attique à figures noires du NYork Nessos Painter (Boston Ioan).Boardmann 1996.

).

[11] Voir les études faites sur le lituus de Pian di Civita (Voir Hugot 2003, partie II à ce sujet).

[12] Voir Hugot 2003, partie IV.

[13] Krauskopf 1974.

[14] E 80, Archäologisches Institut der Universität ; H : 9, 8 ; diam. : 12, 5.

[15] Schmidt 1963, pl. 50, 4. Krauskopf 1974, pl. 6, 1. Jannot 1976, pp. 92-100, fig. 25, 4.

[16] Nous ne pensons pas que la Scala Santa avait la même fonction que ces escaliers de pierre.

[17] Euwe-Beaufort 1985, p. 102, c, fig. 6. Steingräber 1982, taf. 6, 3.

[18] Le monument fut découvert en 1988. Bonghi Jovino 1999, pp. 87-103. p. 99 (note 106 pour la bibliographie sur la Cuccumella). Voir Gerli 1997-1998. Sgubini Moretti 1994, p. 29.

[19] Sgubini Moretti 1994, pp. 22-35.

[20] Beaucoup de tumuli étrusques de la région de Cerveteri et de Vulci ont un escalier ou une rampe qui permettait d'accéder au sommet du monument. Des cérémonies funéraires étaient pratiquées sur ces tumuli.

[21] Voir Hugot 2003, partie IV.

Une survivance clusinienne des valeurs familiales archaïques

par Jean-René Jannot (Université de Nantes)

Parmi les représentations quelque peu enigmatiques que nous montrent les reliefs de pietra fetida provenant de la région de Chiusi, une scène, répétée au moins à dix reprises [1], est restée jusqu'à présent pratiquement inidentifiée. La composition rassemble un groupe de cinq femmes; deux d'entre elles, de profil, sont assises face à face au premier plan, sur des tabourets. Derrière elles se trouvent trois femmes debout, disposées symétriquement; l'une, au centre, est figurée de face, mais le visage de profil, les deux autres, placées à droite et à gauche derrière les femmes assises, sont figurées de trois quarts ou de profil. Les trois femmes debout portent des étoffes, tantôt roulées sur les épaules, tantôt tendues à bout de bras [2]. Ces représentations ont été qualifiées de "scènes de gynécée" ou d'"assemblée de femmes", termes vagues que nous avons employé nous-même, mais qui ne nous satisfont nullement.

Il convient de rappeler que tous les monuments connus qui portent une représentation de ce type appârtiennent à la catégorie des bases moulurées, presque toutes creuses, dont la fonction probable est celle d'ossuaires ou, pour celles qui sont pleines, de supports de statues creuses a fonction de cinéraires ou d'ossuaires. Il s'agit donc de monuments funéraires dont la fonction n'est peut-être pas nécessairement individuelle mais qui peuvent avoir servi à receuillir les restes de plusieurs corps inhumés antérieurement, ce qui est souvent le propre des ossuaires.

La scène qui nous intéresse se développe sur une face entière de ces monuments. Sa composition est pratiquement semblable à celle des représentations que nous avons coutume de nommer, d'une manière beaucoup trop imprécise : "assemblées d'hommes". On voit dans ces dernières deux hommes assis face à face sur des sièges pliants tandis que debout derrière eux se trouvent trois autres personnages masculins qui souvent tiennent des emblèmes politiques ou magistraturaux. Un seul monument [3], à notre connaissance, présente, sur deux de ses faces, les deux scènes presque symétriques.

Les scènes associées aux représentations d'assemblées féminines sont, à l'exception de deux reliefs très fragmentaires dépourvus de tout voisinage, des scènes de prothésis ou des danses de lamentations funéraires, et, quand il est possible d'identifier le sexe du défunt, ce que permettent souvent les scènes de prothésis, il s'agit toujours d'une femme [4].

Un fragment conservé à Florence [5] pose lui un sérieux problème. Seule la partie droite de la scène est conservée, elle jouxte une scène de deuil, sans doute de prothesis, où trois personnages masculins (dont deux enfants) exécutent les gestes du deuil et, les mains sur la tête, s'arrachent les cheveux. Le fragment qui retient notre attention montre une femme de profil à gauche assise sur une chaise à dossier. Elle est vêtue d'une ample tunique et d'un manteau dont un pan couvre sa tête. La main droite est malheureusement brisée, mais il est certain qu'elle tient une quenouille dans la main gauche. Derrière elle, une femme debout, tournée de profil gauche, tend à bout de bras une pièce d'étoffe bordée d'un galon, elle porte une couronne dans sa main gauche. Identifier une quenouille dans l'objet fragmentaire que tient la femme assise nous semble incontestable. En revanche la position de la main droite ne permet pas de savoir si cette femme filait. Si tel était le cas, un fil vertical (qui aurait pu être peint), mais surtout un fuseau, devraient encore être visibles au dessous de l'avant-bras droit, or ces indices manquent. Nous pensons en conséquence que seule la quenouille était représentée, et que la femme se contentait de la tenir dans la main gauche, comme les femmes ou les déesses qui tiennent ailleurs des fruits ou des tiges florales, et que cette hypothèse est d'autant plus probable qu'il semblerait (mais cette observation est un peu subjective !) que la paume droite ait été ouverte vers la gauche…

Cette quenouille ainsi tenue comme un emblème par une femme noblement vêtue, portant de belles boucles d'oreilles et assise sur un siège de prestige, semble dépasser la fonction d'un simple outil pour acquérir la valeur symbolique d'un insigne.

Il n'y a guère lieu d'être surpris. En effet les dépôts d'objets liés à l'activité textile, et d'abord à la filature de la laine, sont courants dans les tombes nobles depuis la fin de l'époque villanovienne jusqu'à l'aube des temps archaïques. Quenouilles, fuseaux, fusaioles et bobines foisonnent dans le mobilier funéraire féminin. Mais parmi ces objets, dont nous serions tentés de croire qu'ils sont utilitaires (et qui d'ailleurs le sont ou l'on été dans les tombes les plus anciennes et les plus pauvres) nous connaissons un nombre important d'outils de fileuse en matières luxueuses, en ambre ou même en verre filé, ornés de perles de verre ou de fils de métal précieux, qui n'ont jamais eu d'usage pratique! Il est impossible, et même imprudent, d'utiliser une quenouille en verre ! Ces objets sont le pendant des armes de parade des tombes masculines, et ils accompagnent des dépositions où l'on ne compte plus les bijoux et les accessoires précieux. Ils ont manifestement une fonction emblématique, ostentatoire : ils qualifient la Domina, la maîtresse de l'oikos, celle qui exerce la noble activité de filer la laine du domaine et de présider au tissage des étoffes.

Il est à peine besoin de rappeler que dans la société homérique, Andromaque travaille au fuseau et au métier à tisser comme le font aussi Pénélope, Circé, Calypso, Hélène ou, dans la geste romano étrusque, Tanaquil. Les grandes dames de l'épopée, du mythe ou de l'histoire archaïque se qualifient ainsi comme des fileuses ou des tisseuses qui dirigent l'atelier domestique, au même titre que leurs époux, les rois ou les principi, se qualifient au combat. Les insignes des uns sont les armes et les chars de guerre, ceux des autres les quenouilles et les fuseaux qui ont la valeur de véritables sceptres féminins. Cette activité textile est fièrement illustrée par l'iconographie princière; qu'il suffise d'évoquer les sculptures sur bois du trône de Verucchio [6] ou les deux faces du tintinabulum de Bologne [7] où apparaissent le travail de filature, celui de l'ourdissage et celui du tissage.

Que l'on se réfère aux trouvailles archéologiques, aux allusions littéraires ou aux représentations de prestige, on retrouve de l'aube du VIIIéme à la fin du VIIéme s. une donnée constante: la maîtresse de la maison princière, ou simplement noble, manifeste certes sa richesse et son élégance par la splendeur de ses bijoux et le raffinement de sa toilette, mais elle affirme la noblesse de sa fonction par des outils précieux de fileuse et de tisseuse. La dame de haut rang montre son appartenance aristocratique en filant et en tissant.

Le relief de Florence, malheureusement fragmentaire, représente probablement une noble dame tenant la quenouille de la défunte, insigne qui symbolisait le rôle de la domina, tandis que, derrière elle, la femme debout tend l'étoffe, produit de cette activité textile qui dans l'oikos, était dévolue à la maîtresse. Cette représentation donne à son tour tout leur sens aux images des assemblées de femmes, aux scènes "de gynécée" et au comportement de ces femmes assises entourées de porteuses d'étoffes.

Nous sommes persuadé que les "assemblées de femmes", dont le schéma est semblable à celui du relief de Florence, s'inscrivent dans la droite ligne de cette affirmation des valeurs féminines de l'époque orientalisante et archaïque. Les scènes si souvent répétées, et toujours, quand il est possible d'en déterminer l'environnement, dans le cadre d'une sépulture féminine, présentent très probablement un moment particulier des cérémonies funéraires, celui de la louange de la défunte dont on met en évidence la fonction textile, spécifiquement aristocratique.

Or ces images chargées d'évoquer le rôle de la noble dame défunte ne font que reprendre ce que montraient encore, un demi-siècle plus tôt, en Attique, certaines séries de pinakès funéraires à figures noires. Une pinax de Berlin montre à la fois une présentation d'étoffes et un enfant, signe nous semble-t-il de la double fonction de la maîtresse de l'oikos: celle de mère et celle de patronne des activités textiles. "Si faire des enfants et les élever -disait Finley [8] en parlant de la maîtresse de l'oikos archaïque- est le destin de la femme, filer la laine (et nous ajoutons, la tisser) en est l'emblème".

Les raisons de louer la défunte sont présentées par ces femmes debout derrière les deux personnes solennellement assises sur leurs tabourets: on montre les étoffes sorties, sinon des mains de la maîtresses, du moins de l'atelier qu'elle conduisait, et les deux femmes assises ne manquent pas de tâter la laine, d'en apprécier le moelleux ou la texture, d'en admirer la qualité. Plus tard, on en arrivera à inscrire en guise d'épitaphe Lanam fecit.

Il y a lieu, en effet d'admirer ce travail. Ainsi en est-il de la base de Palerme 8384 (D,II,8) où les étoffes sont comme plissées, ondulées, marquées de reliefs longitudinaux qui ne sauraient se confondre avec ceux qui naissent spontanément d'un drapé. Comment ne pas songer devant ces pièces, qu'admire en ce retournant l'une des femmes assises, à ces tissus "ondulés" [9] semblables à la toge royale que portait Servius Tullius et qui était l'œuvre même de Tanaquil ? Un tel procédé, hautement archaïque, n'a pu se maintenir que par un conservatisme rituel,dont les familles aristocratiques étaient fort naturellement les gardiennes. Probablement, ce vêtement était-il réservé aux personnages d'un certain rang, chargés d'une fonction magistraturale et avait-il alors qualité et rôle d'insigne ? On a maintes fois mis en évidence le rôle des femmes dans les successions royales en Etrurie comme, dans le Latium. Certes,on ne saurait les considérer comme les acteurs d'une société "féministe", mais il est indéniable qu'elles transmettent le pouvoir: épouser une fille de roi, c'est la promesse de devenir roi. Or, aux temps semi légendaires du VIIIème et du VIIème s., ces femmes ont le privilège de faire ou de faire faire ce qui permet la reconnaissance extérieure du détenteur du pouvoir.

Dans les milieux aristocratiques de Chiusi, à l'aube du cinquième siècle, l'activité textile apparaît encore comme la valeur féminine par excellence puisque ce qui semble être l'éloge funèbre rendu par les femmes comporte cette exposition des étoffes, et la filature et le tissage de certains vêtements spécifiques demeure l'apanage des femmes des clans qui détiennent le pouvoir.

A dire vrai ces femmes assemblées autour des étoffes produites sous les ordres de la défunte, évoquent à nos yeux une organisation sociale du haut archaïsme ou de l'époque orientalisante, non un noyau familial réduit comparable à ceux que nous montrent au même moment les nécropoles de Tarquinia ou de Caere. Chiusi et sa région continuent par ce rite de l'éloge de la fileuse et de la tisseuse à honorer la mémoire d'un défunte, mais dans d'autres villes étrusques il y a plus d'un siècle qu'on ne retrouve plus dans les tombes ni quenouille, ni fusaiolle, ni bobine !

La derniere allusion à la fonction valorisante de la fileuse se trouve sur un miroir [10] conservé à Copenhague. Les attitudes autant que les attributs, y évoquent d'autres conventions. Le geste amoureux de la femme qui caresse le menton de son mari [11], le fruit que l'homme offre à la femme, l'enfant debout derrière le couple, renvoient à une organisation familiale différente : celle de la famille au sens étroit, dont témoignent de leur côté les sépultures contemporaines.

Les scènes que nous avons observées à Chiusi et dans la Val di Chiana ne sont plus attestées après le second quart du Véme s. Certes, les documents figurés font généralement défaut pour la seconde partie du siècle et sont guère plus nombreux durant la première moitié du siècle suivant. Tout se passe comme si les rites dont nous avons cru trouver la trace n'étaient plus partiqués, ou du moins plus représentés.

Les allusions au travail textile semblent absentes, beaucoup plus tôt, à partir du milieu du VIéme s, dans d'autres cités étrusques. On peut observer  qu'à Vulci, à Tarquinia, à Caere, et peut-être plus encore dans la cité mixte de Spina, bientôt à Volterra et à Volsinies, ce sont d'autres emblèmes féminins qui incarnent les valeurs des dames de l'aristocratie. L'éventail et le miroir attributs de l'élégance, les livres déroulés [12] et les tablettes inscrites [13], indice de culture ou de fortune terrienne, et bientôt les enfants, référence à la fonction maternelle devenue dominante, se substituent à la quenouille et aux fuseaux.

En Italie méridionale, le même phénomène se reproduit avec encore un peu plus de retard, et les servantes de la défunte qui dans le cortège funèbre portaient la quenouille et les fuseaux, finissent à l'aube du IIIéme s. par apporter l'éventail !

La région de Chiusi, dont nous connaissons par ailleurs le caractère rural et où nous avons observé dans une sorte de "non cité" [14] la permanence de structures gentilices, semble avoir gardé longtemps comme symbole des valeurs aristocratiques féminines, les références à une fonction économique très ancienne dont la survie implique l'existence un cadre social attardé. L'éloge de la défunte, régnant sur le travail domestique du textile, ne pouvait manquer d'avoir un caractère très conservateur, et le seul fait que tant de familles aient souhaité qu'il fut représenté, nous paraît un indice significatif de la permanence locale des valeurs de l'archaïsme.

J. R. Jannot

[1] Par commodité, nous renvoyons tout au long de cette étude aux références de notre publication: Les reliefs archaiques de Chiusi, Rome, 1984. B,III,4. B,III,6. C,II,14. C,II,15. C,II,30. C,II,34. C,II,35. C,III,3. C,III,19. D,II,8. D,II,12.

[2] En dernier lieu, S.Haynes, Etruscan Civilization, Los Angeles 2000. p 248.

[3] Munich, D,II,12.

[4] Pérouse, B,III,6. Rome Barracco, C,III,3. Palerme, D,II,8. Munich, D,II,12.

[5] Mus. Arch.Naz. 86744. B,III,4.

[6] Verucchio Mus Arch. Principi Etruschi (Catalogue) Bologne,2000, p.274.

[7] Bologne Mus.Civ.Archeologico, C.Morigi Govi, Il Tintinabulo della tomba degli ori, ArchClass.23,1971,p.21-46.

[8] M.I.Finley, Le monde d'Ulysse.1972, p.124.

[9] Cette toge "ondulée" Pline NH.VIII,194. n'est-elle pas tous simplement la trabea ( c'est à dire un vêtement "rayé" que nous interprétons à tort comme un vêtement "à rayures" ?)T.L., I, 41.

[10] ES V,149. Corpus Speculorum Etr. Denmark, 1981, p.123, 26b.A.Rallo, Fonti, in Le Donne in Etruria (A Rallo edit.)p 17.

[11] Même geste sur un relief clusien d'Oxford (Ash.Mus.1933-1946. C'23) et à la tombe "dei vasi dipinti".

[12] Tarquinia, T.del Biclinio, milieu du IV°s.

[13] Sur les urnes volterrannes. . M.Cristofani, Urne Volterrane ,Florence 1977.

[14] B.D'Agostino, La Non città di Chiusi, ,in Venticinque secoli dopo L’invenzione della Democratia, Paestum, 1997. p 125 sq.

Les peintures du sarcophage du Prêtre de Tarquiniaont

par Laurent Haumesser (Ecole française de Rome - UMR 7041)

1.

Les sarcophages peints retrouvés dans les tombes de Tarquinia constituent des documents de première importance pour retracer l’histoire de la peinture étrusque au IVe siècle et notamment pour comprendre la manière dont les artistes étrusques se sont approprié des techniques picturales et des motifs iconographiques nouveaux. Le sarcophage du Prêtre revêt à cet égard une valeur particulière, dans la mesure où il témoigne des innovations stylistiques aussi bien qu’iconographiques apparues au tournant de la période classique et de l’époque hellénistique. Mais l’étude de son décor peint a longtemps souffert du mauvais état de conservation des peintures – état qu’est venu encore aggraver une restauration malencontreuse menée peu après sa découverte, à la fin du XIXe siècle - et ce n’est qu’au début des années 1980 que Horst Blanck a donné une véritable lecture d’ensemble, précise et détaillée, des scènes peintes qui ornent les quatre côtés de la caisse [1], lecture qui remplaçait avantageusement l’ancienne description de Gustave Koerte [2]. Cependant le savant allemand était le premier à reconnaître que ses observations n’avaient été rendues possibles que par un expédient (en faisant ressortir les couleurs à l’aide d’eau distillée) et que seule une véritable restauration, qui débarrasserait la couche picturale des incrustations la recouvrant encore, permettrait une analyse plus fine [3]. Or cette restauration a été menée à bien peu d’années après par la Surintendance archéologique [4] et l’intervention chirurgicale (à la « punta del bisturi » [5]) effectuée par les restaurateurs a effectivement permis d’isoler de nouvelles surfaces de couleur et notamment des motifs décoratifs inédits : résultats qui ne peuvent qu’encourager à réexaminer attentivement le monument.

Un réexamen complet, iconographique et stylistique, apparaît d’autant plus souhaitable que, abstraction faite des difficultés matérielles de déchiffrement du décor peint, les analyses successives du sarcophage ont tendu à privilégier des aspects singuliers du monument, au détriment d’un jugement sur ce qui pouvait en faire l’unité. Il est indéniable que la nature a priori composite du monument – un sarcophage en marbre de Paros, destiné à l’origine au marché punique et illustré de peintures étrusques reprenant des motifs grecs et italiques – a favorisé une tendance à isoler des caractères particuliers [6]. Les mises au point successives se sont ainsi concentrées sur les aspects de production et de commerce du sarcophage [7] et, pour ce qui est des peintures, sur les deux motifs de l’amazonomachie [8] et du sacrifice des prisonniers troyens par Achille, avec une nette prédilection pour ce dernier [9]. Rares ont été les contributions qui ont tenté de se mesurer à la complexité du monument et de rendre compte de l’intrication de ces inspirations différentes [10].

Pour autant, avouons d’emblée que nous n’ambitionnons pas ici de donner une analyse d’ensemble du monument. Au contraire, à notre tour, nous nous limiterons à étudier un des aspects particuliers des peintures, celui des figures de démons. Le choix de cette approche restreinte, en contradiction apparente avec ce que nous venons de dire, se verra justifiée de deux manières : tout d’abord par le constat, de tradition mais qui s’impose néanmoins dans le cas présent, que ce motif a été relativement négligé au cours des lectures successives et que, parmi les différentes facettes du monument, celle-ci réserve peut-être encore quelques enseignements ou du moins quelques précisions d’ordre iconographique. Ensuite, par l’idée que ces figures de démons ont été laissées de côté pour de mauvaises raisons et que loin d’être gratuites, contingentes ou superfétatoires comme on l’a dit, elles constituent un élément fondamental du décor du sarcophage et en conditionnent la lecture.

2.

Rappelons la disposition des scènes qui ornent les quatre côtés du sarcophage (
fig. 1
L. Haumesser, Les peintures du sarcophage du Prêtre de Tarquinia : le rôle des démons

Reconstitution du décor du sarcophage du Prêtre, d’après Blanck 1982.

) : au centre du long côté principal (suivant la convention qui veut que la figure du gisant ait la tête orientée vers la droite) se trouve représentée une des variantes de la scène du sacrifice des prisonniers troyens par Achille. Cette scène n’occupe pas tout le côté : elle est encadrée de part et d’autre de figures appartenant à l’amazonomachie qui se déroule encore sur les deux petits côtés et le long côté opposé. Cette disposition complexe de scènes, qu’il conviendra d’interroger, réserve une large place aux démons [11] : on ne compte pas moins de six figures sûres sur un total de 35, soit un sixième des figures présentes – 8 sur 37 si on prend en compte deux figures hypothétiques sur les deux parties presque entièrement effacées du sarcophage [12]. D’un simple point de vue quantitatif, le sarcophage du Prêtre constitue un des monuments les plus riches de la peinture étrusque pour ce qui est de l’iconographie des démons – on ne voit guère que la longue frise de la tombe du Cardinal et peut-être la seconde chambre de la tombe de l’Ogre pour rivaliser ; encore ces dernières n’offrent-elles pas les mêmes possibilités de lecture. Du point de vue iconographique, le sarcophage apparaît surtout comme un jalon capital dans l’histoire de ces images, dans la mesure où les représentations peintes du IVe siècle qui ont été conservées sont bien rares. En effet, si la découverte de la tombe des Démons bleus [13] a permis de donner une nouvelle ampleur historique à ce type de représentation et de montrer que, contrairement à ce que l’on pensait, l’iconographie des démons était déjà bien établie au Ve siècle à Tarquinia [14], il y a peu de documents pour attester de la permanence de cette tradition iconographique entre les apparitions de démons dans la tombe de l’Ogre et la généralisation du motif dans les tombes de la fin du IVe et du IIIe siècle : à cet égard, le sarcophage, avec ses démons bien caractérisés, apparaît comme une source de première importance.

La première constatation que l’on peut faire est que les démons ne relèvent pas tous d’un même type : si l’état de conservation ne permet pas de pousser la comparaison aussi loin qu’on le voudrait, on peut du moins distinguer, parmi les figures identifiables, les démons ailés figurant dans les scènes d’amazonomachie - c’est-à-dire les démons (1), (2) et (4) - du démon (6), aptère, tourné vers la scène du sacrifice. Il est cependant difficile de juger si cette distinction correspond à une différence d’identité, de fonction ou d’action (les premiers ont déjà saisi les morts, tandis que l’autre est encore loin des prisonniers). Les quelques autres éléments signifiants que l’on peut discerner, comme les traits du visage et les chevelures, ne font que renforcer ce constat de diversité iconographique à l’intérieur du décor.

La tombe des Démons bleus déjà montrait que des types différents pouvaient coexister à l’intérieur d’une même scène et on retrouve encore exprimée cette pluralité des figures dans la tombe des Charons [15], dont les peintures légendées font du décor une véritable galerie de portraits des différents démons de Tarquinia dans la première moitié du IIIe siècle. Ces deux monuments de Tarquinia, qui comptent parmi les plus riches du point de vue des images de démons, peuvent fournir des points de comparaison utiles pour mieux situer la place du sarcophage du Prêtre dans l’évolution de cette iconographie. Il faut d’abord noter que ces trois monuments se distinguent nettement par le fonctionnement iconographique et le rôle dévolu aux démons, et peuvent nous servir à esquisser une première typologie des représentations, au sein de laquelle le sarcophage se retrouve relativement isolé. Dans la tombe du Ve siècle, les démons participent à une scène purement funéraire de voyage dans l’au-delà, en accompagnement de la défunte : ce sera le modèles le plus suivi, sous des formes plus ou moins simplifiées jusqu’aux dernières tombes peintes. Dans la tombe des Charons, ils sont exhibés seuls, en gardien de la porte, accompagnés d’inscriptions qui insistent sur leur identité ; cette fonction de ianitores est la leur dans plusieurs autres monuments, de la première chambre de la tombe de l’Ogre à la tombe des Aninas notamment. En revanche, sur le sarcophage du Prêtre, les démons sont intégrés à des scènes mythologiques, suivant un mode particulier sur lequel nous reviendrons plus loin : c’est là un schéma plus original, qu’on ne retrouve guère à Tarquinia que dans la seconde chambre de la tombe de l’Ogre, sous la forme cependant différente d’un enfer grec.

Du point de vue plus strictement iconographique, les démons qui font leur apparition dans la tombe des Démons bleus et celle des Charons permettent surtout de préciser les types auxquels appartiennent les différents démons du sarcophage, qui occupe chronologiquement une place intermédiaire. On ne peut ainsi manquer de noter les affinités existant entre le démon assis de la tombe des Démons bleus et le démon (6) : même incarnat bleu, et surtout même chevelure blonde ramenée vers l’arrière, même insistance sur le regard, même idée de geste menaçant de la main – en dépit des différences d’attitudes et d’attributs ces deux démons appartiennent au même type iconographique ; en revanche, la barbe et le nez crochu rapprochent davantage le démon du Charun de la première chambre de la Tombe de l’Ogre [16] : le démon (6) témoigne déjà ainsi d’une certaine contamination des types iconographiques. A l’inverse, les démons (1) et (2) se rapprochent davantage des figures encadrant la première porte dans la tombe des Charons [17], même si leurs caractéristiques sont moins clairement visibles et surtout plus communes : ils ont en commun les ailes, semble-t-il le même visage aux traits marqués et surtout le même double serpent dans la chevelure. C’est ce type de démon que l’on retrouvera le plus souvent par la suite, ses caractéristiques physiques correspondant mieux aussi à la tendance plus graphique que chromatique qui caractérise la dernière peinture tarquinienne [18].

3.

Par leur nombre et par leur intérêt iconographique, les démons sont loin d’être des figures négligeables au sein du décor peint ; l’étude de leur rôle au sein de la composition d’ensemble ne fait que renforcer ce constat. On retrouve en effet les démons sur chacun des quatre côtés du sarcophage : deux (peut-être trois ?) sur le long côté principal, sans doute un sur chaque petit côté, trois sur le long côté de l’amazonomachie. En outre, les figures ne sont certainement pas disposées au hasard, même si les incertitudes de lecture ne permettent pas de retrouver l’intégralité du dispositif d’origine. Il faut ainsi noter l’insistance sur les angles et les limites : les démons (3), (5) et peut-être (8) occupent l’extrémité des longs côtés ; le démon (6) est aux marges de la scène de sacrifice ; le démon (4) est lui aussi disposé au bord de l’image, sur le petit côté : il est possible, comme nous l’avons dit, que le démon (9), sur le petit côté opposé, vienne renforcer le parallélisme. Surtout, on ne peut manquer d’être frappé par la disposition symétrique des deux démons (1) et (2) au centre du long côté : symétrie de position, chaque démon étant tourné vers l’extérieur, en figures adossées qui dynamisent la scène et orientent la lecture ; symétrie de couleur aussi, les ailes et les vêtements adoptant des teintes opposées, vêtement rouge-orangé et ailes claires pour le démon de gauche, ailes rouges-orangées et vêtement clair pour celui de droite. Cet exemple suffirait à prouver combien la composition de l’image a été étudiée [19] et combien les démons, loin d’être plaqués, ont été harmonieusement intégrés au décor.

Mais comment faut-il comprendre cette intégration ? Au-delà de ces quelques remarques formelles, peut-on retrouver un véritable principe d’organisation de ces figures ? La plupart des commentateurs ne se sont guère posé la question, estimant par une sorte de lecture a priori que les démons ne constituaient pas un élément primordial des peintures, mais un simple ajout venant s’insérer, plus ou moins adroitement, au sein de différentes scènes pré-existantes. Il est d’ailleurs significatif de noter que le peu d’intérêt porté à ces figures répond au peu d’intérêt porté à la composition d’ensemble des peintures. Ce double désintérêt est compréhensible, dans la mesure où les analyses se sont avant tout portées sur les scènes prises isolément : d’un côté l’amazonomachie, de l’autre le sacrifice des prisonniers troyens. Comme ces analyses ont surtout procédé par comparaison avec d’autres scènes où les démons n’étaient pas toujours présents, ces derniers n’ont pas été pris en compte. C’est vrai de l’amazonomachie : la comparaison avec le sarcophage des Amazones, qui ne présente pas de démons, n’a pas incité à prendre ces figures en considération. Mais cela se vérifie plus encore de la scène du sacrifice des prisonniers troyens, pour laquelle existe une longue tradition d’études comparatives : les démons ne figurant pas toujours dans les différentes représentations comparables que l’on peut connaître dans les milieux étrusque et italique, il convenait dès lors, pour retrouver la matrice grecque, l’Urbild, d’enlever cet ajout étrusque. La scène centrale du sarcophage du Prêtre a subi à cet égard un traitement semblable à celui de la fresque de la tombe François de Vulci, où les démons ont souvent été chassés de l’image [20]. Or Agnès Rouveret a bien montré, à propos de la tombe François, que mettre entre parenthèses les figures de Charun et de Vanth pour ne considérer que le modèle grec ou italique épuré revient à sous-estimer la part de réécriture étrusque du motif. L’apparition des démons au sein de cette scène du sacrifice n’est pas gratuite ni ne peut être ramenée à un simple « travestimento » [21] étrusque du motif ; elle constitue au contraire un élément fondamental de réappropriation de l’image par les commanditaires et les artistes étrusques [22]. Cette analyse nous semble s’appliquer parfaitement au sarcophage du Prêtre : elle nous invite en tout cas à prendre au sérieux la disposition des démons au sein des différentes scènes et à considérer plus attentivement leur fonction au sein de ce dispositif complexe.

Il nous faut commencer par rappeler que tous les démons se placent à l’arrière-plan, derrière les guerriers ou les Amazones qu’ils vont emmener. L’effet de profondeur qui résulte de cette disposition nous semble d’autant plus important et significatif qu’il est pratiquement unique. Comme le souligne Horst Blanck, il arrive de voir apparaître les démons à l’arrière-plan, comme sur le sarcophage des Amazones de Vulci, mais sans qu’ils interviennent [23]. On sera dès lors d’autant plus attentif au parallèle offert par le skyphos conservé à Boston [24]. On y retrouve, placé au centre de la scène, le même type de démon que les démons (1) et (2), dans la même attitude, à l’arrière-plan : en vol, il est placé un peu plus haut que les autres figures, de la même manière que sur le sarcophage les démons dominent de l’arrière-plan les morts qui s’effondrent. La différence est qu’on est peut-être ici au terme du voyage, le démon semblant déposer le défunt (qu’on voit mis à mort sur l’autre face du vase) près de sa femme, et les dominant tous deux de ses grandes ailes. Cet effet de profondeur suggère donc une ouverture sur l’espace où les démons vont prendre leur vol et conduire les défunts (l’importance accordée aux ailes ne peut que renforcer cette impression). Mais cette apparition régulière des démons à l’arrière-plan contribue surtout à unifier ce fond et à lui donner une dimension proprement étrusque. En ce sens, nous pouvons déjà parler, sur le plan formel, de réécriture des motifs par les démons. La comparaison du sarcophage des Amazones et du sarcophage du Prêtre est à cet égard éloquente : alors que dans le premier cas l’image parle grec [25] mais se voit étonnamment entaillée d’une longue inscription qui revendique la propriété de la défunte étrusque [26], dans le second monument c’est le motif de la lutte entre Grecs et Amazones qui vient s’inscrire sur ce fond étrusque créé par les démons qui surgissent de l’arrière-plan et ponctuent le décor.

Toutefois, l’originalité du décor du sarcophage du Prêtre est de juxtaposer deux scènes différentes, et cette particularité impose de comprendre comment la réécriture s’applique à l’ensemble du décor. Ainsi, s’il est vrai que les démons sont disposés sur les quatre côtés du sarcophage, on ne peut manquer d’être frappé par leur absence au sein de la scène de sacrifice des prisonniers, si l’on excepte la figure marginale du démon (6) : tous les autres démons se retrouvent dans la longue frise de l’amazonomachie. Sans aucun doute, la scène de sacrifice est ainsi mise en avant et c’est elle qui prime : comme nous l’avons dit, elle occupe le côté principal du sarcophage. Cependant, ce que nous disions du fond étrusque mis en place par les démons nous semble fonctionner là aussi, à bien regarder la place occupée par ce démon (6) : il participe à la scène de sacrifice, comme l’indiquent son attitude, son regard et sa main dressée, et en même temps, comme les autres démons, il se détache encore de l’arrière-plan de l’amazonomachie, puisqu’il est dissimulé en partie par la figure de la dernière Amazone. Par sa position stratégique, il constitue une véritable figure-charnière entre les deux scènes. En ce sens, sa fonction n’est pas dissociable de celle des autres démons, qui servent de liant à l’ensemble du décor peint et permettent d’articuler deux scènes aussi différentes que l’amazonomachie et la geste d’Achille : les démons n’appartiennent donc en réalité ni à l’une ni à l’autre scène, mais constituent un véritable fond commun aux deux représentations.

On sait que le diable, étymologiquement et théologiquement, est celui qui divise et désunit ; le sarcophage du Prêtre nous montre que les démons étrusques, iconographiquement, unissent et relient. Religieusement aussi ? Il est bien évidemment tentant d’attribuer aux démons du sarcophage un rôle de cet ordre, même si les éléments manquent pour aller très loin dans cette interprétation. On peut du moins constater qu’ils assument une fonction précise d’unification thématique, qui va au-delà de la simple « tonalité » funéraire qu’on leur assigne généralement : celle d’inclure dans une même dimension religieuse étrusque deux scènes qui participent d’un registre différent, le sacrifice des prisonniers troyens renvoyant à une référence littéraire et à un passé mythique précis, l’amazonomachie reprenant elle un thème mythologique beaucoup plus générique et diffus [27]. Les démons ne s’emparent donc pas seulement des guerriers et des prisonniers mis à mort : ils attirent à eux, dans cet arrière-plan étrusque, des figures nouvelles ou étrangères qu’ils combinent et font leurs [28]. Fidèles en cela à leur nature démonique (plutôt que démoniaque), ils apparaissent bien, dès cette époque, comme le médium par excellence de la peinture funéraire étrusque.

L. Haumesser

Bibliographie :

Blanck 1982

H. Blanck, « Die Malereien des sogennnanten Priester-Sarkofages in Tarquinia », Miscellanea archeologica Tobias Dohrn dedicata (Archeologica 26), Rome, 1982, pp. 11-28, pl. 1-12.

Blanck 1985

H. Blanck, « Le pitture del « Sarcofago del Sacerdote » nel Museo nazionale di Tarquinia », dans Ricerche di pittura ellenistica. Lettura e interpretazione della produzione pittorica dal IV secolo a.C. all’ellenismo, Rome, 1985, pp. 79-84 (à l’origine dans Dialoghi di archeologia, s. III, 1983, 2, pp. 79-84).

Cataldi 1988

M. Cataldi, I sarcofagi etruschi delle famiglie Partunu, Camna e Pulena, Tarquinia, 1988.

Colonna 1985

G. Colonna, « Per una cronologia della pittura etrusca di età ellenistica », dans Ricerche di pittura ellenistica. Lettura e interpretazione della produzione pittorica dal IV secolo a.C. all’ellenismo, Rome, 1985, pp. 139-162 (à l’origine dans Dialoghi di archeologia, s. III, 1984,1, pp. 1-24).

Koerte 1877

G. Koerte, « Le pitture del sarcofago tarquiniese detto del sacerdote », dans BullInst, 1877, pp. 100-107.

Rouveret 2002

A. Rouveret, « Figurer le corps ennemi : quelques remarques sur le thème du sacrifice des prisonniers troyens dans l’art funéraire étrusque et italique au IVe siècle av. J.-C. », dans C. Müller – Fr. Prost éd., Identités et cultures dans le monde méditerranéen antique, Paris, 2002, pp. 345-366.

Steingräber 1985

S. Steingräber, Catalogo ragionato della pittura etrusca, Milan, 1985.

[1] Blanck 1982 ; résumé Blanck 1985.

[2] Koerte 1877.

[3] Blanck 1985, p. 80.

[4] Cataldi 1988, p. 8, fig. 6-7 pour le sarcophage ; note de C. Bettini (« Il restauro del sarcofago del Sacerdote »), pp. 17-18, fig. 19-20 pour les travaux de restauration ; M. Cataldi, Tarquinia, Rome, 1993, p. 109, fig. 149-150. Sur la triple inscription portée sur le sarcophage (laris partunius) : CIE I, I,3, n° 5422a, b, c ; H. Rix, Etruskische Texte, Tübingen, 1991, Ta 1.10, 1.11, 1.12.

[5] C. Bettini, op. cit., p. 18.

[6] On notera ainsi que la dernière sortie publique du sarcophage, lors de la grande exposition au Palazzo Grassi a été également marquée par cette tendance au découpage, puisque seul le couvercle a fait le voyage de Tarquinia à Venise : cf. M. Torelli éd., Gli Etruschi, p. 233, p. 627, n°293 (notice de C. Zaccagnino).

[7] M. Martelli, « Un aspetto del commercio di manufatti artistici nel IV secolo a.C. : I sarcofagi in marmo », dans Prospettiva, 3, 1975, pp. 9-17, pp. 12-13, avec bibliographie.

[8] G. Camporeale, « L’amazonomachia in Etruria », dans SE, 27, 1959, p. 107-137, pp. 116-118 ; P. Bocci, « Il sarcofago tarquiniese delle Amazzoni al Museo Archeologico di Firenze », dans SE, 28, 1960, pp. 109-125, pp. 119-121 ; E. Mavleev, LIMC, s.v. « Amazones etruscae », n°31.

[9] En dernier lieu, Rouveret 2002, avec bibliographie.

[10] Il s’est alors agi d’une lecture de type politique, mettant en avant les liens entre Tarquinia et Carthage : F.-H. Massa-Pairault, Iconologia e politica nell’Italia antica. Roma, Lazio, Etruria dal VII al I secolo a.C., Milan, 1992, pp. 130-133, fig. 112-113 ; eadem, La cité des Etrusques, Paris, 1996, p. 190 ; M. Torelli, « Riflessi in Etruria del mondo fenicio e greco d’Oriente », dans Magna Grecia Etruschi Fenici (Atti del trentatreesimo convegno di studi sulla Magna Grecia, Tarento, 8-13 ottobre 1993), Tarente, 1994, pp. 295-319, p. 306, pl. XIV,1.

[11] Un certain nombre d’études portant sur les représentations de démons ont bien entendu pris en compte le sarcophage du Prêtre, sans cependant analyser en détail l’ensemble des figures présentes, le plus souvent du fait des mauvaises conditions de conservation : O. Waser, Charon, Charus, Charos, Berlin, 1898, p. 134, n°14 ; F. de Ruyt, Charun. Démon étrusque de la mort (Etudes de philologie, d’archéologie et d’histoire anciennes publiées par l’Institut historique belge de Rome, tome I), Rome, 1934, pp. 23-24, n° 5 ; E. Mavleev - I. Krauskopf , LIMC, s.v. « Charu(n) », n°35, n°38 ; en dernier lieu F. Sacchetti, « Charu(n) nella pittura funeraria etrusca », dans Ocnus, 8, 2000, pp. 127-164, pp. 131-132, n°8 a,b,c, pl. I,4, II, 1-2.

[12] Le démons (8) est restitué par symétrie avec le démon (5) – les deux groupes amazone-grec se répondant très clairement. Quant au démon (9), une faible trace semble attester sa présence ; mais là aussi, la position du grec tué et la symétrie avec la scène de l’autre petit côté rendent cette restitution très probable. Quant à la figure (7), nous y voyons une figure masculine (Agamemnon ? Cf. Koerte 1877 et Cataldi 1988) et non un démon féminin, comme le voudrait Blanck 1982.

[13] M. Cataldi, « La tomba dei Demoni Azzuri », dans M. Bonghi Jovino – C. Chiaramonte Treré éd., Tarquinia. Ricerche, scavi e prospettive, Milan, 1987, pp. 37-42 ; eadem, « Tomba dei Demoni Azzuri », dans Pittura etrusca al Museo di Villa Giulia, Rome, 1989, pp. 150-153. Cf. F. Roncalli, « Iconographie funéraire et topographie de l’au-delà en Etrurie », dans F. Gaultier – D. Briquel éd., Les Etrusques, les plus religieux des hommes. Etat de la recherche sur la religion étrusque (Actes du colloque international, Galeries nationales du Grand Palais, 17-18-19 novembre 1992), Paris, 1997, pp. 37-54, pp. 37-43 ; M. Rendeli, « Anagoghe », dans Prospettiva, 83-84, juillet-octobre 1996, pp. 10-29, notamment pp. 16-21.

[14] Sur ce point, G. Colonna, « Divinités peu connues du panthéon étrusque », dans F. Gaultier – D. Briquel éd., Les Etrusques, les plus religieux des hommes, pp. 167-184, p. 172.

[15] M. Moretti, Nuovi monumenti della pittura etrusca, pp. 299-305 ; Colonna 1985, pp. 149-150 ; Steingräber 1985, pp. 305-306, pl. 62-63 ; Pittura etrusca al Museo di Villa Giulia, cit., pp. 170-171, fig. 129. Les démons ont été étudiés par J.-R. Jannot, « Charun, Tuchulcha et les autres », dans MDAI(R), 100, 1993, pp. 59-81, notamment pp. 63-64.

[16] Steingräber 1985, pl. 128.

[17] M. Moretti, Nuovi monumenti della pittura etrusca, pp. 299-305, p. 302 ; Steingräber 1985, pl. 62.

[18] Sur ce point, voir Colonna 1985, p. 144 et F. Gilotta, « Considerazioni su alcuni problemi di pittura etrusca ellenistica », dans MDAI(R), 107, 2000, pp. 177-190.

[19] On pourrait bien entendu en dire autant de l’ensemble de la composition : il faut noter ainsi la manière dont les deux corps assis aux deux extrémités répondent au Troyen égorgé par Achille au centre de l’image.

[20] Cf. Blanck 1982, p. 24 ; F. Coarelli, « Le pitture della tomba François a Vulci : una proposta di lettura », dans Dialoghi di archeologia, s. III, 1983, 2, pp. 43-69, repris Ricerche di pittura ellenistica, pp. 43-69, pp. 52-53, fig. 5-6 ; F. Roncalli, « La decorazione pittorica », dans F. Buranelli éd., La Tomba François di Vulci, Rome, 1987, pp. 79-110, pp. 88-89, fig. 4.

[21] A. Maggiani éd., Artigianato etrusco. L’Etruria settentrionale interna in età ellenistica, Milan, 1985, p. 212.

[22] Rouveret 2002, pp. 357-358.

[23] Blanck 1982, p. 20.

[24] J.M. Padgett, M. B. Comstack et alii, Vase-painting in Italy, Red-Figure and Related Works in the Museum of Fine Arts, Boston, Boston, 1993, pp. 257-260, avec bibliographie.

[25] Avec il est vrai quelques intonations étrusques, comme la tenue des Amazones (P. Bocci, op. cit., p. 120) pour laquelle on peut cette fois parler de « travestimento » étrusque du motif.

[26] L’inscription sur la caisse du sarcophage des Amazones (CIE II, 5451b ; TLE 122b ; ET, Ta 1.51) n’a pas reçu d’explication satisfaisante. Sans préjuger de la motivation véritable du geste étrusque, nous reprendrions volontiers le jugement exprimé (R. Bianchi Bandinelli – A. Giuliano, Etruschi e Italici prima del dominio di Roma, p. 270, fig. 308 ) sur l’usage « barbare » des peintures de la part du propriétaire étrusque  – barbare au sens propre, de quelqu’un qui écorche le grec.

[27] Il faudrait cependant, pour aller plus loin, pouvoir comprendre le sens exact de cette association, commandée par les démons, entre le sacrifice fait par Achille et l’amazonomachie. Une telle analyse passera nécessairement par l’étude du monument qui, structurellement et iconographiquement, se rapproche le plus du sarcophage du Prêtre, à savoir le cratère de la Bibliothèque Nationale : J. D. Beazley, Etruscan Vase-Painting, Oxford, 1947, p. 136, 1, pl. XXXI, 1-2 ; M. Cristofani éd., La ceramica degli Etruschi, Novara, 1987, pp. 226-227, p. 327, n°174 ; LIMC, s.v. « Aivas », n°65 ; sur les inscriptions et le sens de « hinthial », voir G. Colonna, dans SE, 48, 1980, pp. 174-179. Là aussi, et l’analyse menée sur le décor du sarcophage ne peut que nous y rendre sensible, les deux figures de Charun (qu’on retrouve de part et d’autre du vase et qui sont clairement identifiés par une inscription) permettent de lier deux motifs différents : celui du sacrifice d’un prisonnier accompli cette fois par Ajax d’un côté, et les figures d’Amazones de l’autre.

[28] Parmi les motifs que l’intervention des démons contribue à modifier, citons notamment l’exemple des cortèges, avec la reprise d’une iconographie civile et son inflexion vers le domaine funéraire : M. Cristofani, La Tomba del Tifone. Cultura e Società di Tarquinia in età tardoetrusca, dans Atti dell’Accademia Nazionale dei Lincei, serie 8. Memorie della Classe di Scienze morali e storiche, XIV, 4, 1969, p. 213 sq., pp. 230-232 ; idem, La Tomba del Tifone. Monumenti della Pittura Antica scoperti in Italia, section I, fascicule V, Rome, 1971, pp. 27-32. Il reste à approfondir également le rôle des démons étrusques dans le domaine religieux et dans la mise en place d’une imagerie complexe (nous pensons notamment au rôle des démons dans les images relevant de la sphère dionysiaque) : rappelons à cet égard le travail exemplaire de Luca Cerchiai, « Daimones e Caronte sulle stele felsinee », dans La Parola del Passato, 50, fasc. 3-4 (282-285), 1995, pp. 376-394.

ICAR : une base de données pour les scènes figurées de l'Italie préromaine

par Natacha Lubtchansky (Université de Tours et UMR 7041) - Annick Fenet (UMR 7041-Nanterre) - Sylvain Mottet (Université de Paris V)

Introduction

ICAR (IConographie-ARchéologie) est une base de données informatisée des scènes figurées de l’art étrusque et italique, diffusée gratuitement sur Internet. Son nom indique qu’il s’agit d’un programme d’étude iconographique qui tient compte du contexte archéologique des images. L’envergure de la base est immense, mais elle a aussi sa propre cohérence qui repose sur une unité géographique et chronologique : toutes les scènes envisagées dans la base proviennent de l’Italie et sont datées d’avant l’époque romaine, c’est-à-dire du VIIIe siècle avant J.-C. jusqu’au début de l’époque hellénistique [1]. L’objectif est comparatiste : la base doit permettre de comparer des scènes d’époques différentes et élaborées dans des cultures différentes [2]. Devant l’ampleur de la tâche, il est nécessaire de procéder en traitant des ensembles documentaires clos, afin que l’utilisateur de la base sache ce qu’il peut s’attendre à y trouver.

1. Historique et générique

La création de cette base de données est née d’une réflexion plus générale sur l’image menée par le groupe Image et Religion. Ce groupe de recherche, formé à l’École française de Rome en 1999, se réunit régulièrement, à l’occasion de séminaires et de colloques internationaux, pour confronter différentes approches scientifiques comme l’Anthropologie et l’Histoire des Religions, l’Histoire de l’Art, l’Iconographie ou l’Archéologie, dans une étude des images de l’Antiquité classique [3]. Associé à une réflexion méthodologique et historiographique sur les modes de lecture de l’image antique, ce programme repose aussi sur l’élaboration d’une base de données iconographique sur les mondes étrusques, italiques et italiotes, selon une perspective qui dépasse les seules images à contenu « religieux ». La base reprend l’approche comparatiste qui est celle du programme Image et Religion, ainsi que son orientation archéologique et historiographique. La création d’une banque informatique comparable à ce qui existe déjà pour les textes antiques ou même pour les images de l’Antiquité classique, comme la base des vases attiques des Archives Beazley d’Oxford [4], est apparue comme de première nécessité pour l’iconographie de l’Italie préromaine. En effet, les études d’iconographie ont besoin des mêmes outils informatiques qui sont en usage dans les autres domaines de la recherche historique. En outre, il semble tout à fait souhaitable aujourd’hui d’utiliser les possibilités que nous offre l’Internet pour réunir une information qui est souvent difficile à atteindre et à rassembler. Il paraît important, d’autre part, que des compatibilités d’interrogation soient possibles avec les autres bases de données existantes ou en élaboration, avec lesquelles il faudrait établir des liens.

ICAR existe depuis 2001. C'est un programme conçu et dirigé par Natacha Lubtchansky, Maître de Conférence en Histoire de l'Art et Archéologie à l'Université de Tours. Il se développe dans le cadre des activités de l'équipe ESPRI, dirigée par Agnès Rouveret, de l'UMR 7041, à la Maison René-Ginouvès de Nanterre, avec la collaboration de l'École française de Rome et de l'Institut national d'Histoire de l'Art. La première phase, financée par une ACI Jeunes Chercheurs du Ministère de la Recherche, a consisté en l'élaboration de la structure de la base et dans le traitement d'un premier corpus, la peinture funéraire étrusque. L'équipe a été composée d'un informaticien, Sylvain Mottet (CNRS-Université de Paris V), et d'une rédactrice et documentaliste, Annick Fenet (ESPRI-UMR 7041), assistée de Laurent Haumesser (ESPRI-UMR 7041) et Ludi Chazalon (Aix-en-Provence).

2. Conception et orientation

ICAR rassemble une documentation iconographique et archéologique :

  • un parti pris iconographique : ICAR ne considère que les objets archéologiques de l’Italie préromaine portant une scène figurée. Ainsi, dans le traitement du corpus de la peinture funéraire étrusque, n’ont pas été retenues les tombes qui ne sont décorées que de motifs ornementaux : toutes les tombes peintes d’Étrurie ne sont donc pas présentes dans la base. D’autre part, toute l’information est organisée en fonction de cette perspective iconographique : l’image est la donnée centrale et la plus documentée, du point de vue de la description, de la datation, de l’attribution, de la technique, de l’histoire de la découverte et de la collection, de l’interprétation, de la bibliographie et de l’illustration. D’autres données sont aussi consignées, principalement concernant l’objet support de la scène.
  • une orientation bibliographique et historiographique : ces différentes informations sont explicitement accompagnées de la référence bibliographique d’origine. Par exemple, dans le cas de la datation d’une scène, trouveront place les différentes propositions faites par les chercheurs, avec à chaque fois la référence bibliographique en question (figure 1). Le même parti pris est adopté pour l’attribution à un peintre, pour la provenance (dans le cas où plusieurs sites archéologiques ont été proposés), pour l’interprétation de la scène.

La bibliographie de chaque scène et de chaque support (objet) est donc bien sûr donnée dans la base, mais la spécificité d’ICAR est de proposer une bibliographie analytique. L’information fournie par chaque référence bibliographique est répartie dans les différents champs de la base, et dans le cas de l’interprétation iconographique de la scène, un résumé de l’ouvrage ou article est proposé. En outre, la base ne consigne pas le résultat de recherches non publiées. De sorte que nous ne donnons pas de nouvelles interprétations, nous nous gardons de commenter celles qui sont publiées et nous essayons de livrer une information aussi objective que possible [5]. Ainsi, plusieurs champs peuvent apparaître vides dans la mesure où aucune étude n’a apporté d’information sur le point en question.

3. Contenu

Nous avons essayé dans un premier temps de distinguer, dans l’information livrée sur la scène figurée et l’objet archéologique, les faits des interprétations. Mais cette exigence s’est vite avérée impossible. En effet, établir ce qui constitue la scène figurée relève déjà de l’interprétation : ce que nous définissons comme une scène, varie d’une époque à l’autre, comme l’a bien montré A. Rouveret [6]. On ne peut, par exemple, individualiser les différentes scènes de jeux de la même façon dans la Tombe des Augures et dans la Tombe des Biges de Tarquinia.

Dans l’établissement de la description nous avons choisi d’introduire le moins d’interprétation possible : ainsi nous n’identifions pas « Héraclès » mais « un homme avec une peau de lion et une massue ». La description est rédigée et elle utilise un même sens de lecture (de la gauche vers la droite), un même schéma syntaxique et un vocabulaire récurrent (figure 2).

Les interprétations iconographiques proposées dans la bibliographie publiée sont résumées et nous proposons de façon abrégée quelles identifications ont été données des personnages représentés et du motif iconographique, ainsi que les valeurs (sociale, mythologique, rituelle…) attribuées à la scène (figure 3).

Une liste de mots-clés préétablie organise de façon différente l’information contenue dans la description et dans les interprétations. Ainsi, pour reprendre le même exemple, on trouvera dans la liste des mots-clés de cette scène « bâton », « Héraclès » mais aussi « Thésée », si une telle interprétation a été proposée dans la bibliographie.

En ce qui concerne les illustrations, elles sont aussi complètes que possibles : photographies en couleurs, en noir et blanc, dessins, lithographies, gravures peuvent donner des états à chaque fois très différents des scènes figurées (figure 4). Dans le cas des tombes peintes ou de supports complexes, un plan ou un croquis indiquant l’emplacement de la scène est proposé. Chaque illustration est accompagnée de légendes détaillées et d’informations sur l’origine de l’image.

Les autres informations concernent le support de la scène figurée : les techniques de fabrication, la datation, l’attribution à un artiste ou un atelier, le site et la date de découverte (avec les informations connues sur le contexte archéologique), le lieu de conservation et, le cas échéant, l’histoire des collections auxquelles l’objet a appartenu, la mention des motifs ornementaux associés à la scène figurée. Ces données, même si elles sont moins développées que l’information iconographique, sont indispensables à l’établissement d’une documentation complète de la scène.

La base d’enregistrement utilise le logiciel File Maker Pro.

La question juridique des droits de publication des illustrations sur Internet est délicate. La nature de la diffusion n’est pas commerciale puisque la consultation est gratuite. Les images sont protégées sur Internet par un filtre qui empêche qu’on puisse les récupérer à haute définition.

4. L’interrogation sur Internet

L’adresse du site est http://icar.huma-num.fr/. Le site a été créé sur une base SQL avec un langage PHP. Il est conçu pour être utilisé par des chercheurs en iconographie, mais aussi en archéologie ou en stylistique de l’Antiquité classique, ainsi que par les étudiants, dans la mesure où il leur donne accès à tout un ensemble de données qui leur sont habituellement difficiles d’accès.

  • La feuille d’interrogation. Les critères interrogeables dans la base sont regroupés en cinq rubriques (figure 5) : le support de la scène, la datation et l’attribution, le lieu de découverte, le lieu de conservation, les motifs décoratifs associés à la scène, l’iconographie de la scène. Chaque rubrique propose entre un et neuf critères, si bien que l’interrogation peut être particulièrement fine. Il est en effet possible de combiner des demandes très variées, par exemple sur :
    • un détail iconographique et une datation : « quelles sont toutes les représentations d’œuf entre 480 et 450 avant J.-C. ? »
    • un personnage et une provenance archéologique : « quelles sont toutes les représentations d’Héraclès provenant de Chiusi ? »
    • un thème iconographique, une datation et un lieu de conservation : « quelles sont les représentations de symposion du Ve siècle conservées au Musée de Tarquinia ? »
    • une référence bibliographique et un personnage: « à propos de quel objet B. D’Agostino a-t-il parlé d’acrobate ? »
    • une valeur iconographique et une référence bibliographique : « M. Pallottino a-t-il attribué une valeur eschatologique à certaines scènes figurées étrusques ? »

    Les demandes peuvent être formulées en texte libre ou, le cas échéant, grâce à des listes de mots préétablies.

  • Les réponses et navigation. A la suite d’une interrogation simple ou combinée, ICAR affichera deux types de réponses : la (ou les) scène(s) figurée(s) et le (ou les) support(s)/objet(s) (figure 6). L’utilisateur pourra ainsi consulter soit la fiche de la scène figurée concernant sa question, soit la fiche complète de l’objet décoré de cette scène. Il aura ainsi accès à toute la documentation enregistrée sur la scène ou le support en entier, avec les informations réparties en différentes rubriques (figure 7) : sur la typologie de l’objet archéologique avec la bibliographie générale, sur toutes les datations et attributions d’artistes proposées par les chercheurs, les lieux de découverte et de conservation attestés pendant l’histoire moderne de l’objet, la description, la technique d’exécution, les interprétations iconographiques proposées et les illustrations (figure 8), sous forme de vignettes, dans un aperçu général, ou en format écran.

Lorsque l’utilisateur a eu accès à une fiche, il lui est en outre possible de « naviguer » vers d’autres fiches à partir de n’importe quel critère présentant un « lien » : toute information apparaissant dans une police couleur bleue permet en effet de passer à d’autres fiches « scènes » ou « support » dans la base ICAR. Par exemple, en sélectionnant une des références bibliographiques données pour la Tombe du Triclinium, L. Canina, L’antica Etruria marittima, Roma, 1846-1851 (figure 9), ICAR affichera les autres fiches que cette référence bibliographique évoque (figure 10). Dans cette même tombe, dans la liste des mots-clés de la scène de la paroi d’entrée avec les deux cavaliers, figure le terme « Dioscures », dans la mesure où c’est une interprétation qui a été proposée par F. Roncalli (figure 11). En sélectionnant ce mot-clé, l’utilisateur pourra consulter les autres fiches des objets ou scènes pour lesquels la même identification a été suggérée dans la bibliographie (figure 12).

5. État d’avancement des travaux et perspectives

Afin de proposer un programme cohérent, nous traitons intégralement chaque corpus d’objets publiés. Nous avons achevé un premier ensemble, celui des tombes peintes étrusques, qui compte actuellement 182 fiches « support », 570 fiches « scène », 1075 illustrations, 433 références bibliographiques dépouillées. Ces chiffres sont sans cesse modifiés puisque la base est mise à jour au gré des publications. Le traitement d’autres corpus est en projet : L. Chazalon et J.-R. Jannot traiteront les reliefs archaïques de Chiusi ; R. Benassai (Université de Santa Maria Capua Vetere) et L. Chevillat (Université de Tours), la peinture campanienne des époques classique et hellénistique ; L. Finochietti (Université de Salerne), la peinture daunienne et les stèles dauniennes ; D. Palaeothodoros (Université de Thessalie – Volos), la peinture à figures noires des vases étrusques de l’époque archaïque ; D. Frère (Université de Lorient), les vases étrusco-corinthiens ; L. Haumesser (Université de Paris X-Nanterre), les sarcophages figurés étrusques. En outre, le programme ICAR servira de support pédagogique à un séminaire doctoral régulier en iconographie, proposé par l’École française de Rome et l'École française d'Athènes.

[1] Les critères chronologiques sont dépendants de chaque corpus étudié.

[2] Cette comparaison est souhaitable aussi avec l’art grec, ibérique, etc.

[3] A paraître dans supplément BCH.

[4] Adresse électronique : http://www.beazley.ox.ac.uk.

[5] Dans le cas d’une datation, d’une attribution d’artiste ou d’une interprétation iconographique, nous n’avons mentionné que l’auteur qui le premier a proposé l’hypothèse en question, sans citer ceux qui se sont par la suite ralliés à ce point de vue.

[6] A. Rouveret, « Espace sacré, espace pictural : une hypothèse sur quelques peintures archaïques de Tarquinia », Annali dell'Istituto universitario orientale di Napoli. Sezione archeologica X, 1988, p. 203-216.

Un débat d’interprétation vers 1830 :

Otto Jahn et Charles Lenormant au sujet d’une œnochoé étrusque du British Museum

par Sabine Jaubert (Université de Montpellier, INHA)

Dans le domaine de l’analyse de l’image antique la première moitié du XIXe siècle est une période riche en expérimentations méthodologiques. L’archéologie naissante essaie, depuis la Renaissance, de trouver une autonomie intellectuelle par rapport à la philologie qui règne sur les sciences de l’Antiquité [2]. Par rapport à cette problématique, situer Johann Joachim Winckelmann entre l’archéologie et la philologie est essentiel dans la mesure où le savant prône l’opposition entre le lire et le voir. Le topos n’est pas nouveau et parcourt toute la Renaissance, « pour s’imposer face à cette puissance rivale qu’est la philologie, l’archéologie n’a cessé d’affirmer la dignité épistémologique de l’objet face à la toute-puissance du texte » [3]. Nous retrouvons le thème dans la tradition antiquaire [4] et la postérité retient de Winckelmann ses assauts contre la culture du texte et ses tentatives méthodologiques pour laisser au monument la plus grande autonomie possible [5]. Cependant, dans l’œuvre de Winckelmann, le rapport au texte est plus paradoxal. C’est en effet d’abord parce qu’il infirme, atteste ou enrichit le texte que le monument intéresse le savant. « Chez Winckelmann, il arrive assez souvent que la leçon du texte prime celle du monument » [6]. Malgré des tentatives d’émancipation certaines, la philologie est constamment présente dans la méthodologie d’analyse du monument antique pratiquée dans le cadre l’Altertumwissenschaft par les héritiers de Winckelmann. En parallèle de cette tendance, en Allemagne également, le XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle voient l’émergence d’un mysticisme qui, contre la philosophie des déistes et des athées, conduit à une analyse de l’image symboliste. Le fondateur de cette Ecole, Georg Friedrich Creuzer, professeur à Heidelberg, montre comment la Symbolique est un « renouveau du vieux système grec de l’allégorie […]. A une époque très reculée, les prêtres […] de Grèce et d’Asie avaient été en possession de vérités supérieures, métaphysiques, morales et physiques ; ils les avaient enseignées sous une forme allégorique parce que l’humanité de ces âges lointains n’était pas capable de recevoir la vérité sans déguisement » [7], la doctrine étaient transmise aux initiés dans des cultes à mystères. Creuzer enseigne que le mythe est toujours communiqué dans l’image sous une forme allégorique. Pour comprendre le sens de l’image, il faut en analyser la valeur symbolique. En ce qui concerne les vases peints une autre raison contribue au développement de ces interprétations symboliques. Le grand nombre de cérémonies bachiques représentées sur les vases, particulièrement sur ceux provenant de l’Apulie et de la Basilicate et la confusion établie par les Romains entre Dionysos grec et Iacchus, compagnon de Cérès et génie des mystères, mène les savants à considérer les vases sans distinction de forme, de style ou de fabrique comme appartenant tous par leur destination à la pratique des mystères. Ils ne pouvaient être placés que dans les tombes des initiés et par conséquent les sujets dont ils sont décorés avaient plus ou moins clairement rapport avec les mystères bachiques. La grande part de subjectivité relevant de cette méthode et son manque de rigueur scientifique entraîne autour des années 1820 une réaction contre la Symbolique. Issue de la tradition philologique allemande, une méthode d’analyse de l’image, initiée par Karl Otfried Müller, insiste sur le caractère réaliste des mythes et « recommande d’étudier les mythes non seulement dans leur origine et leur développement, mais aussi dans leur variété locale. » [8] Le savant allemand insiste sur la nécessité absolue de coordonner l’étude de l’art et de la religion à celle de la philologie [9]. Cette nouvelle méthode se développe dans le cadre de l’Altertumwissenschaft, autour de savants comme Eduard Gerhard, Otto Jahn ou Emile Braun [10]. Une part importante de la lecture de l’image repose sur la tradition littéraire : on établit des parallèles constants entre le texte et l’image. Une analyse de l’image rigoureuse passe par la référence littéraire ; on veut avoir sur l’image un discours positiviste qui écarte toute subjectivité [11]. D’un point de vue méthodologique, l’Altertumwissencshaft initie, d’autre part, la constitution de grands corpora d’images antiques dans la lignée des grands corpora d’inscriptions. On prend conscience de l’importance de la mise en série dans le domaine de l’analyse de l’image, ce qui permet d’ébaucher les premières études typologiques, chronologiques, stylistiques et iconographiques. En marge de ces courants, les plus importants, quelques savants expérimentent des lectures de l’image antique plus singulière. La méthode élaborée par Charles Lenormant et Théodore Panofka pour aborder les religions et les mœurs de l’antiquité est en cela intéressante à étudier. Les documents figurés sont envisagés en se fondant sur un syncrétisme mystique. Cette démarche originale puise ses sources à la fois dans la philologie et l’étymologie – influence de l’Ecole allemande – et dans la tradition symboliste– influence de Creuzer. Lenormant et Panofka font une synthèse des deux tendances et mettent au point un système, qui a recours à des explications mythologiques fondées sur des associations mythologiques et des glissements étymologiques [12].

Une œnochoé à figures rouges du British Museum [13], expliquée dans le tome IV de l’Elite des monuments céramographiques [14] (
figure 1

) [15] se trouve au cœur d’un débat d’interprétation et illustre les méthodologies d’analyses de l’image qui cohabitent à l’époque. Ce vase présente le grand intérêt historiographique d’avoir été publié quatre fois en l’espace de trente ans [16]. Présenté pour la première fois en 1836 sous le numéro cent quinze du catalogue de la vente Durand[17], il se trouve au cœur d’une polémique entre Lenormant et Jahn. La collection du Chevalier Durand figure parmi les collections qui ont permis, dans la première moitié du XIXe siècle, l’établissement de galeries de vases antiques dans les Musées publics [18]. Le chevalier Durand avait investi une partie de sa fortune dans une collection d’œuvres d’art, dont de nombreux vases antiques provenant de Vulci. Contrairement à la première collection Hamilton, acquise par le British Museum en 1772 et qui comptait des vases attiques à figures rouges de style tardif ou des vases italiotes [19], les vases Durand se rattachaient plutôt à la période archaïque, à la figure noire et au début de la figure rouge. Le musée acquiert la plus grande partie des vases, dont notre œnochoé. Les vases Durand se prêtaient particulièrement à l’étude chronologique et stylistique en offrant « une collection précieuse et presque complète d’exemplaires choisis de toutes sortes de vases grecs » [20]. La vente des vases de la collection marque une étape importante dans les études céramiques : elle résume l’apport fondamental des fouilles de Vulci en donnant l’exemple d’un ensemble de vases à partir de la richesse duquel peut se mettre en place une étude stylistique et chronologique systématique. Son catalogue illustre d’autre part le paradoxe sur l’analyse de l’image, que nous allons rencontrer dans toute la première partie du XIXe siècle, entre la tradition antiquaire et la modernité. Le paradoxe se retrouve dans le débat qui oppose Lenormant à Jahn sur l’interprétation de l’œnochoé du British Museum. Le catalogue de la vente Durand est confié à de Witte, mais celui-ci demande à Lenormant de participer à la rédaction de nombreuses notices descriptives [21], qu’il signe à chaque fois de ses initiales. L’œnochoé qui nous intéresse fait partie du lot des vases de la collection Durand décrits par Lenormant :

« Adonis imberbe, assis sur un char, traîné par deux cygnes, a sur ses genoux Vénus entièrement nue, qu’il embrasse. Une draperie étoilée enveloppe le bas du corps d’Adonis. En avant du char sont un satyre barbu et une nymphe nue qui s’embrassent dans une attitude des plus obscènes ; une panthère saute sur les jambes du satyre. Les deux personnages de ce groupe ont des chaussures aux pieds. Bacchus-Orphée, assis sur un rocher, ayant la partie inférieure du corps couvert d’une draperie étoilée, pince de la lyre. Plus loin est un Silène barbu, exprimant, par ses gestes et par sa physionomie, l’impression que lui cause le groupe de la nymphe avec le satyre : c’est sans doute Prosymnus ; il est muni d’un thyrse ; une peau de panthère, nouée sur la poitrine, couvre ses épaules ; ses pieds sont chaussés de bassarides. » [22]

La description relève certains détails de l’image, mais aucune de ces observations ne permet vraiment de suivre le cheminement des déductions de Charles Lenormant. Ainsi, sans donner au lecteur d’explication précise, il nomme les personnages de la scène : « Aphrodite » et « Adonis », assis dans le char tiré par les cygnes, « Bacchus-Orphée » sur un rocher, le satyre ithyphallique, à gauche de l’image, devient « Prosymnus » et aucun nom n’est attribué aux personnages du groupe central . L’auteur fait dans ce catalogue une lecture sommaire de l’image. D’un point de vue méthodologique, il semble imposer au spectateur une interprétation iconographique du sujet figuré sur ce vase, en identifiant d’emblée les personnages. La lecture de l’image s’appuie plus sur une renommée d’érudition que sur une démonstration scientifique. En accord avec de Witte, Lenormant rattache dans le catalogue Durand cette image à la série des représentations des amours du couple Aphrodite et Adonis.

Afin de clarifier la suite de cette étude, il est intéressant de rappeler le mythe qui constitue l’enjeu du débat [24]. Il s’agit d’une légende syrienne attestée chez de nombreux auteurs anciens. Aphrodite, pour se venger de Myrrha, princesse syrienne qui l’avait offensée, provoqua chez elle une passion incestueuse envers son père. Myrrha, transformée en arbre donna naissance à Adonis. Aphrodite le recueillit et le confia à Perséphone, qui, ce dernier devenu adulte, ne voulut pas le rendre à la déesse de la beauté. Adonis avait suscité dans le cœur des deux déesses un amour qui obligea Zeus à arbitrer la querelle. Il fut décidé que le jeune homme passerait un tiers de l’année auprès d’Aphrodite, un tiers auprès de Perséphone et le dernier tiers auprès de celle qu’il choisirait. Adonis choisit Aphrodite. Les Anciens pensaient que les saisons clémentes de l’année correspondaient au bonheur des deux amants, quand l’hiver représentait le temps passé par le jeune homme dans le monde souterrain. Adonis eut une mort accidentelle : pendant une chasse, il fut chargé par un sanglier. Une fête funèbre en son honneur les adonai, fut dès lors célébrée par les femmes au retour du printemps.

Le catalogue de la vente Durand circule rapidement dans l’Europe savante et suscite des réactions et des commentaires. Il est important de souligner le rôle important joué par l’Institut archéologique de Rome à l’époque qui devient un grand lieu de discussions et d’échanges intellectuels, par le biais de ses publications [25]. Ainsi, dans une lettre adressée à de Witte en 1844 « Sur les représentations d’Adonis, en particulier dans les peintures des vases » [26], après un bilan des représentations figurées du couple Aphrodite et Adonis sur d’autres supports [27], le savant allemand envisage le mythe sur les vases peints. Jahn reprend l’étude de cette même œnochoé. Il cite en premier lieu de manière exhaustive la notice descriptive du vase, écrite par Lenormant pour le catalogue [28]. Il contredit ensuite point par point le savant français et aboutit à une autre identification du couple amoureux figuré sur le vase. Il identifie ce personnage comme Dionysos : il est très rare de voir le dieu du vin jouer de la lyre sur les vases peints, mais il se rencontre quelquefois et cela peut s’expliquer par une référence littéraire, on trouve chez Pausanias « Dionysos Melpomenos » [29]. Jahn est également d’accord pour associer Orphée, en tant que fondateur des mystères bachiques, à Dionysos [30]. Cependant, ces deux remarques ne suffisent pas au savant allemand pour justifier l’analogie proposée par Lenormant entre Bacchus et Orphée. Ce recours à l’analogie, comme méthode de dénomination des personnages manque, d’après Jahn, de rigueur scientifique et lui « paraît plutôt de nature à embrouiller la question qu’à l’éclaircir. » [31] Il ne comprend pas davantage le rapprochement établi entre Bacchus ou Orphée et Adonis. Il reproche sa « courte explication » [32] au savant français et refuse la proposition de donner au jeune homme dans le char le nom d’Adonis à cause de liens éventuels entre ce personnage et un Bacchus ou un Orphée, également figuré sur l’image. Cette démonstration conduit finalement Jahn à remettre totalement en question l’interprétation de Lenormant. La lettre se poursuit alors par sa propre analyse du sujet peint sur l’œnochoé. Dans la mesure où il n’accepte plus d’identifier le personnage masculin dans le char comme Adonis, il remet en question l’identité du personnage féminin figuré à ses côtés. Le seul attribut caractéristique d’Aphrodite sur cette image est le cygne. Le cygne peut cependant aussi être consacré à Apollon. Si on considère le jeune homme comme Apollon au lieu d’Adonis, il ne s’agirait plus sur cette œnochoé étrusque d’une représentation d’Aphrodite et Adonis, mais plutôt de celle d’Apollon et de la nymphe Cyrène [33]. Jahn appuie sa démonstration sur la tradition littéraire en citant un scholiaste d’Apollodore de Rhodes qui raconte qu’ « Apollon enleva celle qu’il aimait, la nymphe Cyrène, sur un char tiré par des cygnes, pour la transporter en Libye. » [34] Il s’agit donc, sans aucun doute possible, pour le savant allemand d’Apollon et de Cyrène, et non d’Aphrodite et d’Adonis. Le catalogue de la vente Durand nous donne une lecture sommaire de cette image qui fonde sa crédibilité sur une renommée d’érudition. La lettre de Jahn nous offre une interprétation qui s’appuie sur un savoir littéraire. L’analyse menée par le savant allemand ne clôt pas le débat qui rebondit dans un document écrit l’année suivante.

De Witte communique à Lenormant les conclusions manuscrites de Jahn à propos de ce vase. Lenormant reprend alors, dans une lettre adressée au savant belge, datée de 1845 et publiée la même année dans les Annales de l’Institut archéologique [35], l’étude du vase. L’examen de ce vase commence par une interrogation au sujet de la composition : « ce qui me frappe avant tout, c’est l’incohérence de la composition. Cette scène est véritablement asundetos[36] ». [37] Lenormant décrit trois « symplegmata [38] » : un couple sur un char, une jeune femme cédant à la passion d’un satyre, un satyre ithyphallique associé à un personnage jouant de la lyre sur un rocher. Cette image, explique-t-il, dégage au premier regard un aspect confus qui vient de ces trois groupes distincts réunis sur la même ligne. Il attribue ensuite un sens plus symbolique à ces trois groupes : le premier est un « couple amoureux » [39], celui du milieu évoque la « même idée de manière plus grossière » [40], le dernier représente la passion « qui s’allume plutôt que celle qui s’assouvit » [41]. Il voudrait, en analysant cette scène, « rétablir entre les différents sujets la séparation fondamentale, et ensuite restituer, si cela est possible, la pensée qui a motivé le rapprochement. » [42] Après une description de l’image dans son ensemble, l’auteur passe à une identification plus précise de chaque personnage. Le couple amoureux enlacé dans le char est identifié comme Aphrodite et Adonis. Lenormant allègue plusieurs raisons qui vont dans le sens de l’identification de ce personnage féminin comme Aphrodite. La nudité de la jeune femme est un caractère qui lui semble presque toujours indiquer cette déesse. L’écharpe qu’elle porte serait l’attribut habituel d’Eros hermaphrodite. Assuré, donc, du personnage d’Aphrodite, il identifie Adonis en arguant de « la célébrité des amours de la déesse avec ce héros. » [43] Le caractère imberbe du jeune homme convient aux critères de représentation du jeune Adonis, et son manteau étoilé marque sa « tendance céleste et astronomique » [44] qui découle d’un lien avec les cycles de la nature renaissant chaque printemps, au moment où il retrouve son amante. L’étape suivante, après une identification certaine du couple Aphrodite et Adonis, est d’établir un lien entre les trois « symplegmata » [45] figurés sur cette image, ce qui mènera à la dénomination des autres protagonistes. Le premier groupe, celui assis dans le char, symboliserait la renaissance en général. Cette renaissance est en rapport à la fois avec les phases de la vie et de la mort, et avec les saisons de l’année. Nous retrouvons comme explication « la tendance céleste et astronomique » d’Adonis, que l’auteur vient de mentionner [46]. L’auteur pense que cette image figure le moment du mythe où Adonis, ayant quitté Perséphone et le monde de la mort, réapparaît à l’horizon aux côtés d’Aphrodite. La déesse comblée répand alors vie et fécondité sur la nature. Cette démonstration conduit au sens du couple figuré au milieu de l’image. Ce deuxième symplegma représente pour Lenormant le retour de la vie à la surface de la terre « à travers une union naturelle et susceptible de fécondité. » [47] Après avoir expliqué ces deux groupes en associant le premier au monde céleste et le second au monde terrestre, l’auteur s’attache à expliquer l’analogie établie entre Dionysos ou Orphée et le satyre ithyphallique nommé Prosymnus, afin de donner un sens au troisième symplegma. Il remarque une aversion et une douleur chez le personnage assis sur le rocher, à la vue du couple entrelacé au milieu de l’image. Cette douleur peut, d’après lui, s’expliquer par une identification du jeune homme à Orphée. Orphée, qui a aimé Eurydice, éprouverait de la nostalgie à la vue du couple central. Nous nous trouverions alors, dans cette scène, au moment du mythe qui précède la descente aux enfers d’Orphée. L’analogie s’établit avec Dionysos, parce que ce dieu a lui-même connu une descente aux enfers [48]. Lenormant reconnaît ensuite que l’association qu’il fait dans le catalogue Durand entre ce personnage de « Bacchus-Orphée » et le satyre Prosymnus est plus audacieuse. Il s’attache, cependant, à la justifier. La tradition littéraire atteste Prosymnus comme étant le guide de Dionysos dans son voyage aux enfers. Par contre, en ce qui concerne Orphée, la tradition mythologique est muette. L’auteur suppose qu’au lieu de « Prosymnus montrant à Bacchus le chemin des enfers » [49], nous voyions sur cette image « Prosymnus sur le point de montrer à Orphée le même chemin. » [50] L’analogie de la descente aux enfers d’Orphée avec celle de Dionysos est pour lui une conviction, ce qui explique et justifie la dénomination « Bacchus-Orphée ». Par rapport à l’ensemble de la scène ce groupe symboliserait donc le monde souterrain ou infernal, en opposition au monde céleste et au monde terrestre. Au terme de cette démonstration, l’image figurée sur l’œnochoé du British Museum, est donc interprétée comme une représentation d’Aphrodite et d’Adonis.

Dans le tome IV de l’Elite des monuments céramographiques, terminé après la mort de Lenormant, de Witte classe le vase au chapitre sur les représentations de ce couple et reprend dans son texte la notice du Catalogue Durand pour le décrire. Il renvoie cependant en notes de bas de page à la réfutation de Jahn.

Cette œnochoé a été publiée plusieurs fois depuis. On doit souligner que, jusqu’à présent, l’interprétation de Lenormant est celle qui est retenue à chaque nouvelle publication. H. B. Walters [51] en 1896, S. Reinach [52] en 1899, J.D. Beazley [53] en 1968 ont tous rattaché cette image aux figurations du mythe d’Adonis. Le seul doute sur l’identification que nous avons relevé se rencontre dans le Lexicon Iconographicum Mythologicae Classicae [54], l’image y est classée parmi les « représentations douteuses du mythe » [55] et l’article consacré à Adonis parle d’une représentation présumée du couple Aphrodite – Adonis [56]. La seule publication qui suit l’interprétation de Jahn est celle du savant allemand J. Overbeck [57] qui, en 1887, pense pouvoir aussi y reconnaître Apollon.

Ainsi Jahn, dans la lignée de la tradition philologique allemande, développe un discours positiviste qui exclut la moindre part de subjectivité : « Je suis loin assurément de nier que les vases peints puissent offrir le mythe d’Adonis ; toutefois, je ne saurais guère voir dans l’espèce d’étonnement par lequel on voudrait faire entendre que ce mythe doit s’y rencontrer en effet, autre chose que l’expression d’un vœu. » [58] Il n’y a pour lui aucun doute possible sur la rigueur de l’identification de cette scène, puisqu’il peut avancer, à l’appui de sa démonstration, plusieurs références littéraires : « aucune œuvre figurative antique avait de légitimité si elle allait à l’encontre de la tradition littéraire. » [59] Il identifie cependant seulement le couple assis dans le char et laisse en suspens les autres personnages. L’image devient, au sein de cette méthode traditionnelle, une illustration du document figuré et ne trouve pas d’autonomie propre. On remarque dans la méthode de Lenormant une influence des lectures symboliques de l’image qui le pousse à une interprétation abusive : nous pensons en particulier à la valeur cosmique qu’il donne à cette composition. Il est intéressant de noter, également, que l’analogie, couramment employée dans la lecture de l’image au XIXe siècle, lui permet de mettre en œuvre le syncrétisme mystique. L’association de deux personnages de la mythologie ou de la tradition littéraire, pour nommer une figure de l’image, lui permet d’effectuer des glissements d’un mythe à un autre et de percer à jour, d’après lui, le sens énigmatique de certains documents figurés. Il aborde le déchiffrement d’« un système de syncrétisme mystique » [60], convaincu du fait que « les monuments de l’art portent des traces évidentes de mythes entremêlés et enchevêtrés. » [61] Il ne propose, cependant, au lecteur aucun véritable moyen de validation pour vérifier ces analogies, et à ce dernier de réaliser que cette méthode repose sur un savoir littéraire. Le vocabulaire sur lequel le savant appuie sa démonstration, et asyndète, deux figures de style qui relèvent d’habitude de l’étude stylistique des textes, doit être souligné. Lenormant utilise des outils linguistiques pour analyser une image. D’un point de vue méthodologique son attitude face à l’image antique est originale et audacieuse. On pense au rapprochement méthodologique possible qui sera établi au XXe siècle entre la narration iconographique et la narratologie. L’image antique exerce sur Lenormant une certaine fascination, qui manque de rigueur pour l’Ecole allemande et suscite la critique. Son approche offre cependant l’intérêt d’ouvrir la méthodologie de l’analyse de l’image à de nouveaux outils : quand il ne comprend pas une image, il essaie d’aller plus loin : « Si au milieu des progrès notables qu’a faits l’interprétation des vases depuis quinze ans, on était parvenu à réduire à une proportion insignifiante ceux des monuments qui ne peuvent s’expliquer que par des fables fidèlement calquées sur les textes littéraires, je concevrais qu’on gardât l’espérance d’arriver à une intelligence aussi simple et aussi claire de toutes les peintures. Mais le nombre de celles qui résistent évidemment à une telle opération, est, de l’aveu de tous, si considérable, qu’il faut bien nous permettre de recourir à d’autres moyens d’investigation. » [62]

L’analyse de ce vase nous a montré différentes approches de l’image antique dans la première moitié du XIXe siècle, une approche, dans la lignée de l’Ecole philologique allemande, qui se fonde sur un savoir littéraire ; une approche fondée sur un savoir littéraire, mais qui expérimente de nouvelles méthodes pour mieux comprendre l’image. Cette étude est un exemple intéressant des expérimentations qui ont lieu dans le domaine de l’analyse de l’image pendant cette période. Après les interprétations abusives de l’Ecole symbolique, au début du siècle, l’Ecole philologique allemande établit un discours positiviste qui exclut toute subjectivité ; cependant, le goût de l’expérimentation demeure, face à une méthode, certes rigoureuse, mais qui donne finalement peu de réponses : « Dans le contexte d’un XIXe siècle rigoureux et philologue, mais aussi traversé par une poussée de la mythologie qui entretient des rapports parfois confus avec la symbolique, le vase peut se donner à lire à l’excès. C’est une phase utile qui permet les premières mises en rapport systématiques des données textuelles et des images. » [63]

Il nous faut préciser enfin que ces analyses de l’image sont trop anciennes pour prendre en compte les questions posées par le contexte culturel, le lieu d’origine, celui de la production, la classification stylistique ou chronologique. Nous rappelons que le vase étudié dans ce texte est dit étrusque par Lenormant, de Witte et Jahn dès 1836, détermination confirmée par J.D. Beazley en 1968. Dans les années 1830 - 1840, les savants perçoivent les grandes lignes des distinctions entre fabriques. On dissocie, en général, l’origine grecque des origines italiennes, mis à part quelques réticences parmi de rares savants italiens, chez lesquels un courant d’étruscomanie survit autour de la quête d’une identité nationale. Nous entendons par fabriques italiennes, la dissociation de provenance que font les savants entre la Grande Grèce et l’Étrurie. Ainsi, quand Lenormant, de Witte et Jahn appliquent à un vase le terme étrusque, ils signifient le vase à leur lecteur comme provenant d’Étrurie et fabriqué en Étrurie. La détermination du contexte culturel de l’objet n’influence donc pas, chez eux, le choix d’une méthodologie distinctive dans l’approche de l’image : le système d’analyse de l’image est établi, puis appliqué à tous les vases, qu’ils soient grecs, étrusques ou italiote. On ne pourra d’ailleurs au Xxe siècle définir et travailler ces problématiques de contextualisation des images antiques, que dans la mesure ou Beazley et Trendall auront auparavant accompli leurs recherches sur les grandes sériations stylistiques et chronologiques.

Dans une approche historiographique des méthodes d’analyse de l’image appliquées à la céramique antique, nous essayons donc de ne jamais perdre de vue les différentes étapes de la mise en place d’un savoir céramologique, sur lequel peut s’élaborer une science iconographique, telle que nous la concevons aujourd’hui.

Sabine Jaubert

(Institut national d’histoire de l’art – Paris ; Université Paul Valéry – Montpellier)

[1] Cette étude a fait l’objet d’interventions dans les séminaires d’A. F. Laurens (Université Paul Valéry – Montpellier), de F. Lissarrague (E.H.E.S.S. – Paris) et dans l’Ecole doctorale organisée par N. Lubtchansky (Université François Rabelais – Tours) et C. Pouzadoux (Université de Nanterre) à l’Ecole française de Rome en décembre 2003. Je les remercie d’avoir permis, en m’invitant à parler, qu’aient lieu les échanges fructueux qui ont enrichi cette publication. Je remercie également M. Denoyelle (Musée du Louvre) des remarques qu’elle a bien voulu apporter au texte final.

[2] Cf. A. Schnapp, La Conquête du passé, aux origines de l’archéologie, Paris, 1993, p. 307-308.

[3] E. Décultot, Johann Joachim Winckelmann, Enquête sur la genèse de l’histoire de l’art, Paris, 2000, p. 225.

[4] Cf. A. C. F. de Caylus, , Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines, 7 volumes, Paris, 1752-1757 ; cf. B. de Montfaucon, L’Antiquité expliquée et représentée en figures, 15 volumes, Paris, 1719-1724. Au sujet de la présence du concept dans les écrits antiquaires dès le XVIIIe siècle, cf. A. Schnapp, « La méthode de Caylus » in Caylus mécène du roi, collectionner les antiquités au XVIIIe siècle, catalogue de l’exposition présentée au musée des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France du 17 décembre 2002 au 17 mars 2003, publié sous la direction d’Irène Aghion, Paris, Institut nationale d’histoire de l’art, 2002.

[5] Cf. E. Décultot, op. Cit., p. 235.

[6] Idem.

[7] S. Reinach, « Totems et tabous », in Cultes, mythes et religions, Paris, 1996, p. 21.

[8] S. Reinach, op. cit, p. 24.

[9] Cf. K. O. Müller, Prolégomènes à une mythologie scientifique, 1825.

[10] Cf. C. Spillmann, Le profil archéologique d’Ottto Jahn et sa place dans l’Altertumswissenschaft du XIXe siècle allemand, Mémoire de D.E.A. sous la direction de Madame le Professeur Laurens, non publié, Montpellier, 2000.

[11] Cf. O. Jahn, Beschreibung der Vasensammelung König Ludwig in der pinakothek zu München, Munich, 1854, Préface.

[12] Cf. Ch. Lenormant et J. de Witte, Elite des monuments céramographiques ; matériaux pour l’histoire des religions et des mœurs de l’antiquité, Paris, 1844 -1857.

[13] B.M. F 100 ; J. Beazley, Etruscan Vase Painting, Oxford, 1968, p. 68.

[14] Ch. Lenormant et Jean de Witte, op. cit, 1861, tome IV, pl. 81.

[15] Au sujet de la reproduction du vase, cf. Ch. Lenormant et J. de Witte, op. cit. p. 220, note 2 : «  On a donné, sur la planche LXXXI, que la silhouette du groupe obscène. »

[16] J. de Witte avec la collaboration de Ch. Lenormant, Description des antiquités et objets d’arts qui composent le Cabinet de Feu M. le Chevalier Durand, Paris, 1836, n° 155 ; O. Jahn, « Sur les représentations d’Adonis, en particulier dans le peintures de vases », « Lettre à M. J. de Witte », in Annali dell’Instituo di Corrispondenza Archeologica, Rome, 1845, tome XVII, pp. 347-386. Ch. Lenormant, « Lettre à M. J. de Witte », in Annali dell’Instituo di Corrispondenza Archeologica, Rome, 1845, tome XVII, pp. 419-432, pl. M. Ch. Lenormant et J. de Witte, op. cit, tome IV, pl. 81.

[17] J. de Witte avec la collaboration de Ch. Lenormant op. cit., n° 155.

[18] Cf. I. Jenkins, « La vente des vases Durand (Paris 1836) et leur réception en Grande-Bretagne », in L’anticomanie. La collection d’antiquités aux XVIIIe et au XIXe siècles. Paris, 1992, pp. 297 – 306.

[19] Cf. I. Jenkins, « Contemporary mind : Sir William Hamilton’s Affairs with Antiquities », Vases and Volcanoes ; Sir William Hamilton and his collections, 1996.

[20] Cf. I. Jenkins, « La vente des vases Durand (Paris 1836) et leur réception en Grande-Bretagne », in L’anticomanie. La collection d’antiquités aux XVIIIe et au XIXe siècles. Paris, 1992, pp. 297 – 306.

[21] La collaboration se renouvelle pour plusieurs catalogues : J. de Witte avec la collaboration de Ch. Lenormant,  Description d’une collection de vases peints et bronzes antiques provenant des fouilles de l’Etrurie, Paris, Firmin Didot frères, 1837 ; Description des vases peints et des bronzes antiques qui composent la collection de M. de M. (Magnoncourt), Paris, 1839 ; Description de la collection d’antiquités de M. le Vicomte Beugnot, Paris,1840.

[22] J. de Witte avec la collaboration de Ch. Lenormant, Description des antiquités et objets d’arts qui composent le Cabinet de Feu M. le Chevalier Durand, Paris, 1836, n° 155.

[23] Cf. J. de Witte avec la collaboration de Ch. Lenormant, op. cit., n° 155.

[24] Cf. P. Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, 1951, p.11.

[25] Cf. A. Schnapp, La Conquête du passé, aux origines de l’archéologie, Paris, 1993, p. 307.

[26] O. Jahn, « Sur les représentations d’Adonis, en particulier dans le peintures de vases », « Lettre à M. J. de Witte », in Annali dell’Instituo di Corrispondenza Archeologica , Rome, 1845, tome XVII, pp. 347-386.

[27] Cf. O. Jahn, op. cit., pp. 348-359 : O. Jahn étudie des sculptures, et des miroirs étrusques sur lesquels est figuré le mythe d’Adonis et Aphrodite. Dans une démarche d’iconographie comparée, il remet en question, par rapport à ces documents, les figurations de ce mythe sur les vases peints. Il considère que le mythe n’est peut-être même jamais représenté sur les vases.

[28] O. Jahn, op. cit., p. 360-361.

[29] Pausanias, I, 2, 4 ; 31, 3 in O. Jahn, op. cit., p. 362.

[30] Pour un rappel du mythe d’Orphée, cf. P. Grimal, op. cit., pp. 332-333.

[31] O. Jahn, op. cit., p. 361.

[32] Idem.

[33] Cyrène, fille du roi des Lapithes, Apollon en devint amoureux, l’enleva sur son char d’or et l’emmena en Libye. . P. Grimal, op. cit. p. 111.

[34] Apollodore de Rhodes, Arg., II, 502 et suiv. et Schol. aux v. 498, 500, in O. Jahn, op.cit., p. 363, note 7 ; on trouve la même référence littéraire dans P. Grimal, op.cit., p.111.

[35] Ch. Lenormant, op. cit., pp. 419-432.

[36]asyndète est un terme qui s’applique en général aux études textuels et qui correspond à une figure stylistique qui « désigne l’absence des conjonctions, le refus de la subordination associé à celui de la coordination ; les phrases, propositions ou constituants de la phrase, ne sont que juxtaposés. Elle participe d’une esthétique de l’implicite : le lien logique n’étant pas exprimé, il est laissé à l’interprétation du lecteur. ». Cf. D. Bergez, V. Gérard, J.J. Robrieux, Vocabulaire de l’analyse littéraire,, Paris, 1994.

[37] Ch. Lenormant, op. cit., p. 421.

[38] Le mot grec « sύmplegma, atoV, to » est traduit dans le Bailly par « entrelacement .» Il devient courant au XIXe siècle de désigner par ce terme les groupes de deux personnes enlacées sur les images. L’usage est resté en iconographie.

[39] Ch. Lenormant, op.cit., p. 422.

[40] Idem.

[41] Idem.

[42] Ch. Lenormant, op.cit., p. 421.

[43] Ch. Lenormant, op.cit., p. 422.

[44] Idem.

[45] Idem.

[46] Cf. supra note n°43.

[47] Ch. Lenormant, op.cit., p. 422.

[48] Cf. P. Grimal, op. cit., pp. 332-333.

[49] Ch. Lenormant, op.cit., p. 426-427.

[50] Idem.

[51] H.B. Walters, Catalogue of the Greek and Etruscan Vases in the British Museum, IV volumes, Londres, 1896.

[52] S. Reinach, Répertoire des vases peints grecs et étrusques, Paris, 1899.

[53] J. D. Beazley, op. cit.

[54] Lexicon Iconographicum Mythologicae Classicae, Verlag, Zurich.

[55] Lexicon Iconographicum Mythologicae Classicae, Verlag, Zurich, I, pp. 222-229, II, fig. Adonis54.

[56] Idem.

[57] J. Overbeck, Griechische Kunstmythologie, Leipzig, 1887.

[58] O. Jahn, op. cit. p. 361.

[59] O. Jahn, Beschreibung der Vasensammlung König Ludwigs in der Pinakothek zu München, Munich, 1854, p. 120.

[60] Ch. Lenormant, op. cit. p. 429.

[61] Idem.

[62] Ch. Lenormant, op. cit., p. 429.

[63] A.-F. Laurens, « Le vase à lire », in Le vase grec et ses destins, Catalogue de l’exposition « Le fabuleux destin du vase grec », Mariemont, 2003, Avignon, 2004, P. Rouillard et A. Verbanck-Piérard, Munich, 2003, p. 206.